- Auteur : Samuel Zaoui
Bepolar : Comment est née ce roman ? Qu’aviez-vous envie de raconter comme histoire ?
Samuel Zaoui : Le roman germe depuis longtemps, depuis que j’ai commencé de prendre conscience de la systématique de la violence masculine, jusque dans les/mes gestes les plus anodins du quotidien. J’ai commencé à travailler ce récit en 2016 et puis la survenue de « Me Too » a interrompu mon travail. L’évènement me semblait si important. Il me paraissait pouvoir faire mieux que quiconque le travail de dévoilement de cette systématique, ce que certaines féministes appellent la « culture du viol ». J’adhère totalement à cette thèse.
Et puis « me too » n’a pas éteint ni la violence ni l’impunité ; certaines des « témoines » (c’est un néologisme employé par mon héroïne) se sont même vues attaquées en justice. J’ai donc repris l’écriture avec cette volonté de "chroniquer" non seulement la domination mais aussi la résistance de nos systèmes patriarcaux aux avancées féministes.
Bepolar : On y suit Souhad, une jeune femme qui entame un drôle de voyage. Qui est-elle au début de roman ?
Samuel Zaoui : L’héroïne s’appelle Soudka ! (Souad, c’est l’héroïne de mon premier roman) elle s’appelle Soudka mais aussi Giselle, Tokiko et GHG 7.2.0) Son identité n’a pas beaucoup d’importance, ce n’est qu’une ligne de code. Surtout au début, car elle n’est personne. C’est une des hypothèse du roman. Nous ne sommes rien sans histoire ni mémoire. Son voyage est avant tout un voyage vers son existence, autonome ; vers son humanité. Mais le voyage est aussi une fuite, une double fuite : parce qu’elle est recherchée et parce qu’elle doit se défaire de son statut d’objet.
Bepolar : Vous nous offrez une vision du futur qui a à voir avec notre présent. Pourquoi ce léger décalage temporel, cette science fiction ? Pour mieux souligner les problématiques actuelles, notamment le sexisme rampant.
Samuel Zaoui : C’est là tout l’intérêt d’avoir une humaine machine comme héroïne, elle peut tout à la fois être dotée de la mémoire d’une multitude de femmes (ce qui permet de contourné l’argument si fréquent de l’agression accidentelle et du pervers isolé) et d’archives historiques qui lui permettent de recenser tous les événements survenus depuis « me too » représentant des reculs pour le droit des femmes.
L’autre intérêt frictionnel de la machine c’est qu’elle est par nature un objet, un objet. Ce qui, à mon sens, fait doublement écho aux crédos qui étayent la domination masculine : l’infériorité naturelle des femmes et leur enfermement social dans des rôles d’objets, de faire valoir. Comme Soudka !
Bepolar : Vous parlez notamment d’une forme de bonheur conditionné. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder ce sujet ?
Samuel Zaoui : Cela fait partie des sujets et des propos qui sont impensés et qui surgissent au fil de l’écriture.
Quand Soudka regarde des humains (pour tenter d’abord de les imiter) elle ne comprend pas très bien pourquoi de si manifestes illusions (la télé, les bijoux…) procurent de telles jouissances. Elle en déduit donc que les humains vrais sont tout aussi programmés, conditionnés qu’elle pour ne désirer rien d’autre que ce qui permet au système de domination de se reproduire.
Bepolar : Vous déployer une très belle écriture. Comment travaillez vous autant sur le fond que sur la forme ?
Samuel Zaoui : Merci. C’est sans doute la question la plus difficile. Mes personnages sont souvent bavards, c’est ce qui me permet de les faire vivre ; c’est ce qui me permet aussi de les écouter. J’écoute ce qui j’écris et si cela sonne comme indicible, trop élaboré, je contourne l’idée pour la rendre simple, sonore, audible dans une conversation. Peut-être est-ce une explication. Une autre, plus intime, consisterait à raconter que j’ai été longtemps très dys orthographique. Ce qui m’a conduit très tôt à développer des stratégies pour contourner tous les mots que je ne savais pas écrire en les remplaçant par d’autres, ce qui me prédisposa à l’usage de l’analogie, de la métaphore, de l’antiphrase et autres joyeusetés. Ce qui fait peut être la singularité de mon écriture.
Bepolar : Le livre est sorti il y a trois mois maintenant. Comment avez-vous vécu cette période avec notamment les premiers retours des lecteurs et des lectrices ?
Samuel Zaoui : Les retours sont lents, mais plutôt positifs. Les retours les plus enthousiastes sont souvent masculins. La brutalité du roman (qui est bien en deçà de la réalité) est parfois un peu indigeste pour certain.e.s
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ?
Samuel Zaoui : Je travaille depuis un moment sur une autre dystopie qui cette fois se déroule autour de 2089 (100 ans après la chute de l’empire soviétique). Dans le roman, cet événement est le prélude à l’effondrement de tous les ordres étatiques. Il s’agit donc de décrire une société où tout, absolument tout est régit par contrat. Le titre provisoire « l’esclavage librement consenti » (pour faire écho à la servitude volontaire de De La Boetie