- Auteur : Maurice Gouiran
- Genre : Polar historique
- Editeur : Jigal
- Date de sortie : 1er février 2012
- EAN : 9782914704847
Inscrivez-vous ou connectez-vous pour pouvoir participer au Club !
Résumé :
Nous sommes à la fin de l’été 1973. Clovis, qui vient de terminer ses études et de décrocher un premier job à Paris, s’accorde un mois de vacances du côté de Marseille. Au programme : le soleil, la mer, les filles et les copains... Mais en août, le climat de la ville se détériore brutalement suite à l’assassinat d’un chauffeur de bus par un déséquilibré nord-africain. Meurtres et ratonnades vont dans les semaines suivantes pourrir l’atmosphère de la cité phocéenne. Règlements de comptes entre bandes ou résurgence de la xénophobie. ? La police enquête mollement, la presse souffle sur les braises et la rue réagit violemment. C’est en cherchant à élucider le meurtre de son ami Ali que Clovis va se retrouver très vite au centre de la cible.
universpolars 18 septembre 2024
Et l’été finira - Maurice Gouiran
Une fois de plus, Maurice Gouiran, par cette fiction, nous projette dans l’Histoire, la vraie. Cet auteur engagé ne pèse pas ses mots - et surtout ne nous les cache pas ! - lorsqu’il s’agit de dire clairement ce qu’il en est de la réalité. La vraie et triste réalité, pas celle qu’on essaye de nous raconter parfois d’une manière fardée, embellie chaque jours un peu plus ; et encore faut-il qu’on veuille bien nous la raconter, cette réalité.
Il y a des événements historiques honteux, tragiques, parfois confus, mais souvent déshonorants, vis à vis desquels beaucoup de monde - concerné d’une manière ou d’une autre - préféreraient oublier et les voir enterrer assez profond et dans du sol dur. Mais c’est parfois - souvent ! - tellement abject que, de toute manière, ces personnes ne pourrons jamais effacer ces faits de leur cervelle et en plus - et surtout ! -, Maurice Gouiran est là pour déterrer le tout et nous l’envoyer au visage telle une baffe monumentale ou plutôt un bon coup de pioche bien placé ; comme dans cette histoire d’ailleurs...
Après avoir creusé suffisamment, l’auteur se débarrasse de sa pioche et s’arme de sa plume pour nous transmettre, par respect pour celles et ceux qui le méritent, ce qui ne doit surtout pas être oublié, c’est certain. Et nous, on veut absolument savoir ce qu’il a à nous dire.
Marseille. Été / automne 1973. Cette année-là, en France, mais principalement à Marseille, est synonyme de racisme ; c’est la chasse déclarée ouverte contre les arabes. Et oui, ces saloperies d’immigrés algériens qui viennent prendre ce qui appartient aux "bons" français, même leur vie. Mes mots sont relativement crus, mais c’est pourtant l’ambiance - les paroles ! - qui émane de cette période de crise, noire, sanglante et dure.
L’auteur utilise ces faits divers tragiques pour tisser son intrigue. Pour celles et ceux qui s’en rappellent - je n’en fais pas partie - l’été et l’automne 1973 ont été synonyme de xénophobie à outrance. Face à la crise économique qui s’est abattue sur la France, le gouvernement a décidé de limiter officiellement l’immigration. Consternation, soutiens, grèves ; l’opinion public est bien divisée. Dès juin 1973, la tension montera encore de quelques crans, un peu partout en France. Les affrontements se multiplieront rapidement. Explication au bistrot.
"C’est toujours pareil, tu sais : quand on est en plein boum économique, on a besoin de main-d’oeuvre bon marché pour les boulots merdiques. Au XIXème siècle, on a fait appel aux Italiens. Récemment, pour les grands projets de construction d’immeubles et d’autoroutes, on a récupéré des Nord-Africains. Pour faire le boulot que les Français ne veulent plus faire. Après, la crise arrive. T’as quand même remarqué qu’il y a régulièrement des crises... Alors, les difficultés économiques menacent la sécurité de l’emploi, rognent les salaires lorsqu’elles ne conduisent pas directement au chômage. Ca génère automatiquement des réactions méfiantes, d’hostilité, de rejet... On a besoin de boucs émissaires pour étancher sa haine, pour apaiser son désarroi !"
Un fait divers qui se produit le 25 août 1973 met littéralement le feu aux poudres ; Un algérien, Salah Bougrine, pète les plombs dans un bus et assassine le conducteur à coups de couteau. Le lendemain, Gabriel Domenech, rédacteur en chef du Méridional, écrit un éditorial sulfureux, provocateur et haineux dirigé contre les arabes. Un appel concret à la vengeance.
La passivité de la police, de la justice et de divers milieux politiques vis à vis de la situation est grandement dénoncée par certains. On caillasse de l’arabe ? Et alors ? Enquêtes qui frisent le minimum vital...
C’est durant cette période et dans ce décor malsain peu réjouissant que nous faisons connaissance avec le personnage principal, Clovis Narigou, étudiant journaliste qui vient de décrocher un job à Paris. Le jeune homme a décidé de s’accorder généreusement un mois de vacances à Marseille, auprès de son grand-père Bati - entre autre -, avant de se lancer dans la vie active parisienne. Marseille est la ville de son adolescence, période durant laquelle il a été placé chez ses grands-parents, à la Varune, au milieu de la garrigue et parmi les troupeaux de chèvres, alors que ses parents s’étaient expatriés en Afrique pour le travail.
Alors qu’il profite pleinement de ces jours de plénitude ; plage, sexe, alcool et .... Pastis (c’est de l’alcool, je sais), l’atmosphère de la cité phocéenne qui plane autour de lui s’assombrie et devient de plus en plus terne. Clovis Narigou fait abstraction de ces faits - pas fou le gars -, il ne veut pas foutre en l’air ses vacances. Mais sa copine Olivia, tumultueuse brune engagée et militante dans l’âme, est bien là pour lui rappeler les faits ignobles et lâches qui se produisent dans leur ville. N’étant pas militant de nature, il laisse son Olivia débattre avec d’autre "passionné"...
"Il (le passionné) semblait ne s’adresser qu’à Olivia, sans doute parce qu’ils partageaient les mêmes idées, peut-être également parce que j’étais aussi important, à ses yeux, qu’une chiure de mouche."
Alors que ce climat xénophobe - maintenu par la presse extrême-droite et certains politiques - infecte chaque jour un peu plus la cité phocéenne, Clovis va très vite se sentir concerné par ce qui se passe autour de lui lorsqu’il apprendra que son ami d’enfance, Ali, fait partie des arabes qui tombent comme des mouches au détour d’une ruelle. Annoncé disparu d’abord, mais rapidement "diagnostiqué" assassiné lors de la découverte de son corps. La police tente de mettre cette nouvelle mort violente sur le compte d’une rixe entre bougnoules ; tous des criminels de toute façon. Clovis ne sais plus trop quel comportement adopter, entre farniente, vacances ou mettre la lumière sur ces faits.
Clovis, par le biais de diverses discussions à la Varune, avec son grand-père Bati et son fidèle ami et voisin Milou, va en apprendre bien davantage sur les "subtilités" de l’immigration, respectivement sur ce qu’il ne faudrait pas confondre. Pour appuyer les mots, le vieux Milou, à la demande du grand-père, va lui remettre un écrit, une sorte de mémoire établie par sa mère, relatant clairement ce qu’a vécu son propre grand-père, alors immigré italien. Clovis va se rendre compte que ces derniers ont rapidement et injustement été pris pour des criminels - crise, jalousie et manipulation oblige -, alors qu’ils étaient simplement là pour faire le sale et dur boulot des français.
C’était à Aigues-Mortes, en 1893, ces ouvriers italiens ont presque tous été massacrés. Aucune condamnation ne sera jamais prononcée. Encore une réalité dénoncé par l’auteur.
Écoeuré par ce constat ignoble et à présent conscient de cette injustice qui a touchée bien quelques peuples d’immigrés, Clovis Narigou prends la décision, pour sauver l’honneur de son ami Ali, pour sa copine Olivia, mais surtout pour défendre une réelle injustice, de découvrir par qui et comment son ami a été liquidé. Enquête difficile pour le jeune homme qui va se retrouver confronter à des flics et une justice qui tentent absolument tout, sauf de faire la lumière sur ces crimes xénophobes.
Conclure à une rixe entre petits voyous arabes, entre bougnoules s’exprimant très clairement avec le couteau, c’est bien mieux comme ça...
Clovis et Olivia, lors de leur petite enquête personnelle, vont rapidement se rendre compte qu’ils dérangent ; leur vie est à présent concrètement menacée.
Maurice Gouiran nous parle de faits durs, sensibles et délicats avec une certaine maîtrise, mais surtout avec une grande intelligence. Il nous bouscule, évidemment, nous dérange, soit nous plante au beau milieu de cette ambiance lourde, pesante et ambiguë. Son écriture, la façon de narrer cette partie de l’Histoire, par son histoire, est très adroite, touchante et captivante. Les personnages sont d’une telle puissance au niveau du caractère, vivants et encore une fois très touchants. Maurice Gouiran nous transmet de grandes valeurs sur la nature humaine.
"J’ai regagné ma chambre. Je me suis assoupi immédiatement, mais je savais bien qu’il (son grand-père) était resté, le regard mouillé, devant les images des bonheurs enfuis. C’est peut-être cette nuit-là que j’ai pris la mesure véritable du temps qui passe et de la fragilité des instants de béatitude."
Par le personnage de Clovis Narigou, qui passe beaucoup de temps à la Varune, chez son grand-père, soit pour l’aider dans ses travaux, soit pour profiter un peu des derniers moments avec lui - il est vieux et malade, l’auteur répercute clairement l’amour qu’il semble porter sur sa région, particulièrement pour les collines de l’Estaque. Sa terre, son atmosphère agréable et apaisante, ses mille senteurs, sa nature éclatante composées de splendeurs variées, soit un panaché de vitalité qui découle forcément sur une chaleur humaine palpable.
Très paradoxal vis à vis des évènements insensés qui se déroulent pas bien loin ; c’est vrai. Mais les scènes qui s’écoulent à la Varune, chez le grand-père, donnent vraiment l’impression d’être protégées par une bulle, une aura de bien-être ; éblouissant. C’est maîtrisé, c’est plein de fraîcheur - anisée ! - ça fait du bien à lire !
"C’étaient mes années à la Varune qui m’avaient bâti. C’était la bise coupante de l’hiver et la chaleur suffocante de l’été qui m’avaient donné la force et la volonté de subsister et de résister dans les conditions les plus inconfortables. C’était ici que j’avais appris à confectionner les pièges à grives, les collets, à dénicher les agassons, à conduire les troupeaux de chèvres dans les vallons étroits, à élever les magnans, à confectionner la brousse et le coulis de tomates et, surtout, à écouter le vent et les vieux. C’était ici que je m’étais familiarisé avec toutes ces choses qu’aucun Lagarde et Michard, qu’aucun Bescherelle ne m’apprendrait jamais. C’est près d’ici que j’avais connu mes premiers émois amoureux, couché les premières filles sur la baouco sèche qui nous faisait un lit douillet au pied des baous ensoleillés, lorsqu’un mistral furibond écorchait les vallons et hurlait dans les branches mortes des pins incendiés."
"Sur Olga, je ne savais que peu de chose, je ne savais que ce que Bati avait bien voulu me dire. La Varune restait une terre de secrets et de mystères. La vie y avait toujours été difficile, aussi avait-on appris à tout économiser, même ses paroles."
L’extrême violence décrite dans ce livre - la triste réalité au fait - nous est transmise par l’auteur d’une manière magistralement adroite, avec beaucoup de discernement. C’est détaillé, précis, bien argumenté ; la brutalité qui règne en cette période noire est limite palpable, mais ça passe sans accroc, rien de gratuit, pas de voyeurisme, brillant.
L’intrigue "polardesque" devient presque un prétexte pour en arriver au principal ; l’ambiance et les faits !
Un dernier petit passage que je tiens à relever ; et je profite pour dire merci à l’auteur pour cette petite présentation de mon pays, la Suisse
"L’action de ce citoyen de la Confédération Helvétique rachetait grandement, à mes yeux, la neutralité puante de son pays qui jouait constamment à celui qui ne voit rien, n’entend rien, ne dit rien, mais qui n’hésite jamais à ramasser et à faire fructifier l’argent sale des mafieux et des dictateurs de tous bord pour son plus grand profit."
Comme je n’ai pas un esprit contradictoire, on va dire que les faits sont là... ;-)
Bonne lecture.