En attendant la ressortie Final Cut, repoussée, de The Wicker Man (1973) par Lost Films, donnons-nous l’occasion de comprendre pourquoi il faut voir ou revoir le chef d’œuvre de Robin Hardy.
Pour son pitch à la Shutter Island
Le sergent de police Howie débarque sur l’île écossaise de Summerisle afin de mettre au clair la disparition de la jeune Rowan Morrisson, dont il a eu vent par une source anonyme. Sur place, le policier est sidéré par les coutumes de la population locale, qui vénère les anciens dieux celtiques…
Parce que son scénariste, A. Shaffer, a travaillé avec Hitchcock
Non content d’avoir collaboré avec Hitchcock (sur Frenzy en 1972), Shaffer a également travaillé la même année avec Mankiewicz pour les besoins du scénario du film Le Limier. Or, ce qu’il y a d’amusant avec ces trois scénarii, c’est que dans les trois cas – pour Hardy, Hitchcock et Mankiewicz – , l’enjeu pour le protagoniste central consiste à se sortir d’une situation sur laquelle il n’a pratiquement aucune prise.
Pour son mélange détonant de genres
Film policier, fantastique, érotique, voire même frisant la comédie musicale (excellente OST, mystique à souhait)… le long-métrage fait figure d’inclassable. Son atmosphère à la fois féérique et poisseuse, son histoire entre enquête et étude des religions (Hardy fut un temps un documentariste de renom, entre autre sur ce sujet), participent à son statut d’œuvre culte – le British Film Institute classe d’ailleurs le film parmi les meilleurs de l’histoire du cinéma britannique. En résulte un thriller métaphysique transgressant et surpassant tous les codes de la célèbre Hammer Films, dont le règne sans partage sur l’épouvante et l’horreur touchait alors à sa fin.
Parce que Christopher Lee… et Edward Woodward
L’une des grandes forces de The Wicker Man est de faire appel à deux acteurs aux antipodes : d’un côté Edward Woodward (Howie), acteur de télévision renommé, de l’autre Christopher Lee (Lord Summerisle), représentant à lui tout seul du cinéma d’épouvante. L’autre coup de génie dans cette équation est de ne pas amener Lee sur un terrain balisé, à savoir toutes griffes dehors comme il en a l’habitude, mais d’en faire un personnage cérébral et puissant par-delà toute démonstration de force.
Parce qu’il fait peur et qu’il rebat les cartes
Masques, processions païennes étranges… tout inquiète dans The Wicker Man – présageant quelque part Shining et Eyes Wide Shut. À rebours des récits nocturnes et toujours schématisés entre bien et mal des films d’horreur typer Hammer, le néo film policier élude de plus tout le système moral habituel pour se poser comme un film fondamentalement ambigu, résolument diurne et solaire (toute l’action se déroule en plein jour). Le film prend-il partie pour le héros central ou ses antagonistes, simili hippies libre comme le vent et amoraux ? C’est là toute l’ambivalence et c’est prodigieux.
Parce que c’est une légende
Son statut légendaire ne tient pas seulement à son tournage épique, au cours duquel notamment les acteurs et figurants durent quelquefois – mois de décembre oblige, loin du supposé mois de mai de l’intrigue – jouer avec des glaçons dans la bouche pour que leur souffle ne risque pas d’apparaître à l’image. Le mythe entourant le film s’explique en effet aussi du fait que de nombreux producteurs s’offusquèrent de sa liberté (nudité, rituels… ), en matière de fond comme de forme. Le long-métrage existe d’ailleurs en deux versions – une version plus longue director’s cut et un montage cinéma avec des dialogues raccourcis. À noter que Christopher Lee racontait qu’une troisième version (l’originale, que l’on dit brulée) se trouve encore quelque part. De quoi raviver le mythe entourant cette œuvre, que certains fans considèrent comme intrinsèquement surnaturelle, à l’instar de L’Exorciste de Friedkin.
