Le 31 mars 2020
- Auteur : Franck Thilliez
- Editeurs : Pocket, Fleuve éditions
Depuis trois semaines, tout le monde s’interroge : la crise sanitaire liée au coronavirus était elle prévisible ? Si certains épidémiologistes et autres experts en santé publique nous répondent que oui, et même que d’autres crises surgiront dans le futur, il est indéniable que la plupart d’entre nous n’ont pas vu arrivé ou pas bien mesuré l’impact que pouvait avoir un simple virus sur nos vies.
Là où la réalité nous dépasse, la fiction est parfois un exutoire à nos peurs. C’est pourquoi nous voulions saluer Pandemia de Franck Thilliez, un roman qui allie de manière juste des éléments de polar fictionnel et la panique que peut provoquer un virus. Le succès qui accompagne ce livre ne nous semble pas opportuniste, en pleine crise du coronavirus : c’était déjà un succès avant les événements et BePolar vous explique en quoi c’est tout à fait mérité.
Le résumé :
Comme tous les matins, Amandine a quitté sa prison de verre stérile pour les locaux de l’Institut Pasteur. En tant que scientifique à la Cellule d’intervention d’urgence de l’Institut, elle est sommée, en duo avec son collègue Johan, de se rendre à la réserve ornithologique de Marquenterre pour faire des prélèvements sur trois cadavres de cygnes. Un sac avec des ossements est trouvé dans l’étang.
1. Parce que c’est un livre réaliste, sérieusement construit
Dans un contexte de pandémie, force est de constater que l’auteur s’est bien documenté. Des éléments qui nous étaient encore méconnus ou largement ignorés il y a encore trois semaines sont déjà présents dans cette oeuvre de fiction : règles d’hygiènes, processus épidémique (contagiosité, types et vecteurs de transmission, traque des premiers patients et isolement, données statistiques, plan de prévention et effets sur la population, sensibilisation des professionnels de santé et recherche d’un vaccin), discours politiques et conséquences économiques, étapes clés d’une gestion de crise sanitaire à l’échelle nationale et internationale (procédures de l’OMS, de l’Union Européenne ou du système de santé français)...
C’est que Franck Thilliez s’est adressé à des spécialistes, en l’occurrence ceux de l’Institut Pasteur de Lille. Bien qu’actuellement abreuvés d’informations de toutes sortes sur les virus, il nous est possible, grâce à ce livre, d’apprendre ou réapprendre de nouvelles choses : que les virus les plus anodins ne sont pas les moins dangereux, que ce n’est pas les virus qui circulent mais les populations qui le font circuler.
Et l’auteur, dans une interview donnée à France 3, de nous sensibiliser à un point-clé : la panique et la désorganisation peuvent avoir des conséquences importantes sur la sortie de crise, l’incertitude est normale et il faut vivre en partie avec pour mieux affronter le virus et ses conséquences.
Outre sa plongée ambitieuse dans le monde des pathologies virales, Thilliez nous entraîne à sa suite dans d’autres domaines d’expertises : le fonctionnement du 36 quai des Orfèvres, siège mythique de la Police Judiciaire, le réseau souterrain des égouts de Paris ou les bas-fonds du DarkNet (le web clandestin), le fonctionnement d’une structure comme Institut Pasteur ou les conséquences concrètes d’une aplasie dans le quotidien. Le tout inscrit de manière habile et fluide dans la fiction.
2. Parce que ce livre interroge nos peurs ancestrales
On le voit à l’occasion de cette crise, les virus ne font pas qu’endommager certains corps, ils créent aussi un retour des peurs humaines ancestrales, celle de la mort invisible, qui peut toucher n’importe lequel d’entre nous, à n’importe quel moment. Un élément de panique à l’heure de la société de maîtrise et de contrôle.
Dans le roman, la pandémie n’est pas d’origine naturelle, polar oblige, mais issue d’une manipulation, qui n’hésite pas à faire appel à de vieux mythes. « Lee cavalier blanc est là pour répandre la parole de Dieu, il est l’annonciateur du malheur. Le rouge symbolise le sang versé, il sème la guerre, le trouble par l’épée. le noir fait pourrir les récoltes, amène la famine. Quant au vert, il représente la maladie, la mortalité par épidémie. Il est la Mort. »
3. Pour suivre les parcours des personnage Franck Sharko et Lucie Henebelle
On doit l’avouer, on s’attache au fur et à mesure à ce couple constitué de Franck Sharko (découvert seul dans Train d’enfer pour Ange rouge puis Deuils de miel) et l’inspectrice Lucie Henebelle, découverte dans l’excellent La Chambre des morts (Prix des Lecteurs Quais du Polar 2006, Prix Polar SNCF 2007) puis dans La Mémoire fantôme.
Ces deux policiers d’exception se « rencontrent » pour la première fois dans Le Syndrôme E et travaillent ensemble dans six autres enquêtes, prenant de l’épaisseur et de la place dans nos coeurs de lecteurs. Vous pourrez les retrouver, avec plus ou moins de bonheur, dans Gataca, Atomka, Angor, Pandemia, Sharko(!) et LUCA.
BONUS : parce que Franck Thilliez...
C’est quasiment de notoriété publique : le savoyard (il est né à Annecy) et Nordiste d’adoption est réputée pour sa grande gentillesse et sa disponibilité, faisant l’unanimité auprès des personnes interrogées, éditeurs, libraires ou lecteurs. Quelqu’un d’ouvert, attentif aux remarques, qui n’a pas pris la grosse tête, en un mot sympathique, ça ne gâche rien !
Pour ceux à qui cela ne suffirait pas, il est aussi à noter que ses écrits sont de plus en plus maîtrisés ; style, efficacité, vraisemblance, profondeur des personnages : il y a une vraie volonté d’améliorer, ouvrage après ouvrage, les petits défauts indissociables de n’importe quelle oeuvre. C’est une volonté salutaire et à dire vrai assez rare...
Avec, Jean-Christophe Grangé, Maxime Chattam, Henri Loevenbruck et d’autres encore, Thilliez nous rassure depuis plusieurs années déjà sur la vivacité de la scène littéraire polar francophone : non le bon roman populaire n’est pas mort !