- Auteur : Christophe Nicolas
- Editeur : Argyll
Bepolar : On est en France et tout commence par le meurtre d’un journaliste lanceur d’alerte. Comment est née l’idée de ce roman ? Qu’aviez-vous envie de faire ou de dire dans Trackés ?
Christophe Nicolas : Au départ, je voulais écrire un thriller dans l’esprit du film L’œil du Mal, tout en rythme et rebondissements, avec des quidams téléguidés par une entité mystérieuse pour accomplir de sombres desseins. Tout cela restait très flou dans mon esprit jusqu’à ce que l’actualité s’en mêle. Il y a d’abord eu la mort de Rémi Fraisse, tué lors d’une manifestation écologiste en 2014. Puis les attentats de Paris en 2015. Et enfin la mobilisation contre la « loi travail » en 2016. J’avais déjà écrit un roman qui traitait du contrôle social, Projet Harmonie, qui se déroule pendant les grèves de 95. J’ai donc décidé d’en reprendre les personnages principaux, 20 ans plus tard, pour étudier l’évolution de la situation à l’ère numérique. Mais je me suis appliqué à ce que les deux livres puissent être lus indépendamment.
Bepolar : C’est une France qui ressemble à la nôtre mais pas tout à fait. Certains noms ont été changés, le pouvoir politique est dans d’autres mains. Pour quelle raison avez-vous voulu faire un pas de côté ?
Christophe Nicolas : Parce que les noms propres étaient déjà modifiés dans Projet Harmonie ! C’est aussi un moyen de décrire un système plutôt que des dérives personnelles. Et cela permet de mettre sur un pied d’égalité les lecteurs qui suivent de près l’actualité et les autres, ou ceux qui ne vivent pas en France.
Bepolar : L’enquête sera menée par une capitaine de police, Florence Roche, et la fille de la victime, Julia. Comment pourriez-vous nous les présenter toutes les deux ?
Christophe Nicolas : Florence Roche était l’enquêtrice de Projet Harmonie. À l’époque déjà, elle ne craignait pas de remettre en cause la version officielle. Non sans conséquence pour sa carrière, puisque 20 ans plus tard, elle est placardisée au fond d’un couloir du 36 Quai des Orfèvres, à quelques mois du grand déménagement rue du Bastion et quelques années de la retraite. Quand elle apprend la mort d’un ami journaliste, elle exige d’être associée à l’enquête. Le refus de sa hiérarchie ne l’empêchera pas de démêler les nœuds de cette affaire aux ramifications multiples et dangereuses.
Julia, elle, a grandi au Mexique, dans une communauté zapatiste. À 25 ans, elle est désormais journaliste à Paris, comme son père qu’elle vient tout juste de retrouver. Contrairement à ses deux parents, elle ne s’intéresse pas à la politique et se fond parfaitement dans la société de consommation. Quand son père est assassiné, une de ses sources la contacte. Elle se retrouve alors mêlée à « une machination qui pourrait ébranler jusqu’aux fondations de notre démocratie », pour reprendre la 4e de couverture.
Bepolar : C’est un roman plein de questions autour de nos traces sur le net : l’utilisation des données personnelles par exemple, le droit à l’oubli, etc. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette thématique et notamment les GAFAM ?
Christophe Nicolas : Au départ, je voulais surtout écrire un « page-turner » à l’américaine, riche en action et en suspense. C’est au fil de mes recherches et à mesure que le scénario s’étoffait que le thème s’est imposé de lui-même. Il est difficile d’appréhender tous les effets que peut avoir une surveillance de masse sur les populations, mais aussi au plus profond de chaque individu. Avec Trackés, j’ai essayé d’illustrer ces risques à travers une aventure que j’espère « divertissante ». Le personnage de Florence Roche, plutôt éloignée des gadgets technologiques, m’offre une aide précieuse pour y parvenir. Le lecteur mesure l’ampleur de la menace en même temps qu’elle… Vous savez, j’ai terminé d’écrire le roman en 2018. C’est-à-dire après les révélations d’Edward Snowden, mais juste avant le mouvement des Gilets jaunes. À une époque où la loi « sécurité globale » (qui privatise une partie de la surveillance, légalise l’usage des drones, etc.) n’existait pas, même à l’état de projet.
Bepolar : C’est un vrai techno-thriller. Comment avez-vous construit votre roman ?
Christophe Nicolas : Je me suis beaucoup documenté. J’ai beaucoup lu, j’ai rencontré des policiers, des journalistes, des sociologues… Je souhaitais aborder le problème sous un maximum d’angles et coller au plus près de la réalité. Je ne partais pas de zéro, puisque j’ai fait des études d’informatique ! J’avais certaines intuitions que j’ai cherché à vérifier. Et j’adaptais l’intrigue en fonction de mes « découvertes ». Le risque, quand on amasse beaucoup d’informations, c’est de s’y noyer ou de vouloir tout utiliser. En choisissant de dépeindre la situation par touches et par paliers, à travers les yeux de différents personnages, j’espère avoir réussi à donner une bonne vision d’ensemble. Et surtout, avoir construit une histoire agréable à lire ! C’est resté ma priorité durant tout le processus d’écriture. Une langue simple, des chapitres courts, du rythme, des révélations… Je voulais aussi accrocher les lecteurs qui ne sont particulièrement portés sur les nouvelles technologies.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ? Quels sont vos projets ?
Christophe Nicolas : Je viens de terminer un roman qu’on pourrait qualifier de « polar rural » ou « polar social » : on suit des gendarmes qui enquêtent sur la disparition d’un écrivain dans les Cévennes.
Et puis, je fais partie du jury du concours de nouvelles du Festival du Fantastique de Béziers. Les plus intrépides pourront m’y croiser du 11 au 13 juin 2021.