- Séries : The Clearing
Avec son ambiance oppressante et ses personnages sinistres, "The Clearing" déploie une atmosphère aussi léchée que pétrifiante. Mais cette série tirée d’un fait réel va-t-elle finir par s’incarner et dépasser son interminable scène d’exposition ?
The Clearing
De : Matt Cameron, Elise McCredie
Avec : Teresa Palmer, Anna Lise Phillips, Miranda Otto, Julia Savage, Guy Pearce
Genre : thriller, drame
Pays : Australie
Année : 2023
Une mère hantée par un passé effroyable tente de réprimer ses démons pour élever son fils dans la sérénité. Mais ses traumas sur fond d’enlèvements refont surface et cette femme se sent bientôt investie d’une mission, en une sorte de quête rédemptrice : sauver les futures proies d’une secte sordide multipliant les rapts d’enfants.
Adaptation d’un livre quasi éponyme signé J.P. Pomare, la mini-série australienne "The Clearing" s’appuie sur un fait divers en son temps retentissant : les exactions odieuses d’une secte nommée Kindred, à l’origine de l’enlèvement de près d’une trentaine d’enfants en Australie entre 1968 et 1975. La protagoniste centrale de l’intrigue, que la série se garde au départ de nommer pour ménager le suspense, apparaît comme un modèle d’instabilité. Incapable de vivre au présent, sinon au prix d’un douloureux lâcher-prise, celle-ci navigue perpétuellement entre ses blessures passées et le réel maussade qui se déplie devant elle. Si bien que l’un et l’autre s’interpénètrent parfois jusqu’à brouiller pour elle toute lisibilité, ne manquant pas d’envenimer sa relation avec son jeune fils et à miner sa crédibilité auprès de l’école de ce dernier. Pourtant cette fois, les hallucinations n’expliquent pas tout et l’héroïne pressent le pire. Une étrange camionnette blanche, notamment, éveille ses soupçons et l’emporte aux frontières de la paranoïa. Sur le chemin tumultueux du personnage, entre résurgences du passé et présent, déambulent une sorte de prêtresse eugéniste folle à lier, un ancien flic, une mère fuyante ou encore un ex compagnon envahissant.
Si un certain climat d’horreur suinte de l’atmosphère pesante de "The Clearing", les tonalités les plus déterminantes de la série relèvent d’abord du thriller psychologique. Que le récit évolue sur une strate du passé ou du présent, l’intrigue insiste avant tout sur le ressenti des protagonistes. Leur intériorité meurtrie l’emporte nettement sur toute violence ou confrontation physique. Ce qui n’empêche pas "The Clearing" de puiser ses références notamment du côté de l’étrangeté du "Village des Damnés" (Wolf Rilla, 1960 / John Carpenter, 1995), ne serait-ce que pour les cheveux décolorés des enfants qui rappellent ceux des inquiétants extra-terrestres. De même, tout l’espace inhospitalier de la série, entre ses routes sinueuses, ses épaisses forêts et arbres aussi vertigineux que squelettiques, imprègne à lui tout seul l’ambiance globale. Avec ses couleurs désaturées ou atténuées au maximum et ses personnages souvent filmés dans une sorte de contre-jour, "The Clearing" convoque symboliquement le surnaturel sans jamais y succomber, dans une veine qui rappelle "Ozarks" et "Sur ordre de dieu" – dont la série de Matt Cameron et Elise McCredie reprend d’ailleurs ici la question du fanatisme.
Que les scènes se déroulent du côté du lac, en ville ou dans les différentes habitations, le tableau de "The Clearing" ressemble ainsi à des limbes et les protagonistes cafardeux ne sont pas en reste. C’est simple, tous les personnages de la série semblent plus ou moins déséquilibrés ou dépressifs. À tel point que l’héroïne ne peut pas vraiment compter sur un quelconque contrepoint lui permettant d’échapper à la neurasthénie. Le salut, elle doit en effet le rechercher en elle-même et en se mesurant à ses hantises, condition sine qua non pour atteindre la rédemption ou à défaut flirter avec la catharsis. Pour matérialiser ce pandémonium où règne la mort, la mise en scène opte pour l’immobilité. Un peu à la manière des "Autres" (Alejandro Amenabar, 2001) – mais l’inspiration en moins –, la caméra évacue ainsi souvent toute tentation de mouvement. Résultat, ce sont les acteurs de "The Clearing" qui donnent avant tout du relief aux différents développements et rebondissements. Au gré d’un jeu aussi versatile qu’habité, l’actrice Teresa Palmer – dont les noms et prénoms semblent entrelacer celui des victimes mythiques Teresa Banks et Laura Palmer de "Twin Peaks" – donne par sa justesse une réelle consistance à la désolation de la série. De même que Miranda Otto – tout comme ses sbires dont quelques-uns rappellent les geôliers de "La Servante Écarlate" – qui distille admirablement, avec sa permanente blonde platine millimétrée, l’impossible enchevêtrement entre douceur et fureur.
Reste que "The Clearing" manque de résolution dans sa tentative de déconstruction de la secte Kindred, son scénario ayant la fâcheuse tendance à toujours demeurer dans l’équivoque. Les trois premiers épisodes, par exemple, évitent de justesse le sur-place, perdant du temps sur des détails pas toujours justifiés. Le fait de jouer sur la rétention ou la suspension permet certes de créer une attente, mais celle-ci sera-t-elle au moins en partie comblée ? Cette frustration et en définitive le manque général de substance des épisodes de "The Clearing", rendent tout cela bien fragile, malgré une atmosphère crédible et un casting réussi. D’autant que l’atonie ne concerne pas uniquement les péripéties mais vaut aussi pour la réalisation timide et les tempéraments, trop uniformes, des personnages. À savoir si la série, qui semble systématiquement en garder sous le pied façon scène d’exposition à rallonge, va finir par révéler une force insoupçonnée.
Tirée du roman « In the Clearing » de J.P. Pomare, "The Clearing" est une mini-série en huit épisodes disponible depuis mai 2023 sur Disney+.