- Réalisateur : Tom McCarthy
- Acteur : Matt Damon
Thriller de l’intime, "Stillwater" échappe avec brio au syndrome Taken grâce à un scénario eastwoodien tout en mélancolie et en nuances. Rarement la cité phocéenne qui lui sert de décor aura été si délicatement mise en valeur.
Bill Baker, père au mépris des apparences, multiplie les petits boulots depuis son licenciement. Cet ancien foreur de pétrole au passé trouble est issu de Stillwater, ville d’Oklahoma où il mène une existence mutique et désenchantée. Bientôt, Bill décolle pour Marseille afin de soutenir sa fille Allison, qui entame sa cinquième année d’emprisonnement pour un meurtre qu’elle nie avoir commis. Tandis qu’émerge un nouvel élément permettant possiblement d’établir son innocence, Bill commence à mener sa propre enquête, minutieuse et imprudente. Débute un parcours existentiel aussi périlleux qu’intime…
Deux principaux ingrédients cohabitent dans "Stillwater" : d’un côté un polar à suspense où tous les codes du film noir américain confluent en la cité pointilliste de Marseille ; de l’autre un drame d’une sensibilité rare où s’amoncellent des personnages à fleur de peau et en proie au chaos. Si Tom McCarthy, le réalisateur de "Stillwater" déjà célébré pour son foisonnant "Spotlight", semble in fine s’intéresser davantage aux bouleversements intérieurs des protagonistes qu’aux péripéties, celui-ci ne délaisse cependant aucune facette de son film. Aussi, "Stillwater" apparaît autant comme une investigation méticuleuse et haletante, qu’une tragédie sociale et familiale. C’est d’ailleurs probablement grâce à cet ingénieux mélange, qui hésite toujours entre thriller et mélo, que le long-métrage échappe dans l’ensemble au sentimentalisme.
Interprété par un Matt Damon aussi ours que touchant - au gré d’un rôle plutôt à rebours des personnages monolithiques généralement campés par l’acteur -, Bill se perd dans les artères tentaculaires de Marseille pour finalement se retrouver face à lui-même. Tel un détective maudit tout droit sorti de l’âge d’or des polars hollywoodiens, il s’avance vers une sombre destinée en forme de parcours initiatique. Le protagoniste se découvre ainsi une identité insoupçonnée, par-delà les barrières du langage – dispositif clé du film. Car étranger à Marseille – décor absolu et acteur à part entière ici –, Bill l’est aussi pour lui-même. C’est toutefois dans sa tentative de mise en parallèle des situations sociales américaines et françaises qu’échoue partiellement "Stillwater", notamment à force d’archétypes et de légères caricatures. Comme si deux tonalités cherchaient ici à prendre l’ascendant l’une sur l’autre : d’une part une sorte de cinéma hollywoodien chevaleresque, d’autre part un cinéma d’auteur français tout en arguties et en noirceur.
Il n’empêche, malgré les quelques écueils liés à sa propension trop appuyée au choc des cultures, "Stillwater" demeure un thriller profond et solide. Une recette pas si lointaine dans le fond des grandes tragédies à suspense signées Clint Eastwood – "Million Dollar Baby" et "L’Échange" en tête. Mieux : il réussit même à rendre vraisemblable l’idylle entre Bill et Virginie – saisissante Camille Cottin –, là où le pathos semblait s’avérer le plus dommageable. Quant à la relation tumultueuse entre Bill et sa fille Allison – remarquable Abigail Breslin –, elle brille par ses tourments et zones d’ombre. La mise en scène, entre ses impasses et ses pistes abandonnées, lui donne de plus une réelle consistance, entre fascination et atonie.
Du reste, tout "Stillwater" vaut pour sa rhétorique fulgurante autour du motif du déséquilibre. Ses décors, ses personnages, ses intrigues… tous s’avèrent aussi morcelés et désillusionnés les uns que les autres. Le premier plan du film, où apparaît une maison dévastée par une tornade, donne le ton de cette métaphore filée de la destruction. Cette obsession fourmille à tous les niveaux : à travers les corps déjà abîmés de Bill et d’Allison, via les objets brisés ou les choses à réparer disséminés partout (compteur électrique, plomberie …). Toute la ville de Marseille se met d’ailleurs au diapason de cette dynamique désaccordée. Couple précaire, flic devenu indépendant, mère esseulée, jeune fille délaissée, jeunes ostracisés… aucun personnage ne se trouve raccordé à un autre de manière linéaire : ne reste délibérément que des âmes en peine se solidarisant les unes les autres par la force des choses. Sur cet axe littéraire et allégorique précisément, "Stillwater" recèle une bien belle leçon d’écriture et de mise en scène, laquelle mérite d’être saluée.
Disponible en VOD sur Canal +, "Stillwater" s’inspire librement de l’affaire Amanda Knox survenue en 2007.