Dès les premières minutes, les enjeux de la relation entre Frédérique et Why se condensent dans quelques gestes symboliques : une bourgeoise mondaine pose son talon sur le crayonné qui s’esquisse, tandis que les badauds forment un cercle curieux sur le pont des Arts. Une artiste aux cheveux longs s’affaire, l’autre semble vouloir l’écraser comme un vulgaire insecte. Le billet qui tombe paraît une obole dédaigneusement offerte.

La proie s’offre naïvement à sa prédatrice. La relation trouble qui s’instaure entre les deux héroïnes souffle le chaud et le froid, entre séduction et rivalité. Le drame se nouera dans une villa tropézienne. Les Biches est le premier grand rôle de Stéphane Audran, dont le personnage, d’une froideur inquiétante, prend sous son aile la mystérieuse jeune femme à l’identité masquée sous un patronyme en forme de question : Why (magnifiquement joué par Jacqueline Sassard, dont ce fut le dernier rôle au cinéma).

Pourquoi, en effet ? Pourquoi cette bourgeoise snob jette-t-elle son dévolu sur une artiste bohème ? Que veut-elle exactement ? Les promenades solitaires de l’invitée prolongent le doute qui contamine le spectateur, alors que les divertissements s’enchaînent dans la villa, comme pour tuer l’ennui.

L’arrivée du bel architecte Paul Thomas accroît le malaise par le biais de subtils cadrages : dès la partie de poker, hautement symbolique, la caméra s’attarde sur la nuque de Frédérique qui, subodorant l’intérêt de Why pour Paul, lui donne aussitôt un ordre en forme d’avertissement tacite : son cœur préempté ne saurait battre pour un autre. Les injonctions s’enchaînent au cours de la soirée. Elle n’empêcheront pas le godelureau de convier la jeune femme à une promenade vespérale, d’où le flirt naîtra. Les éléments de la tragédie sont en place...

Portrait acerbe de la bourgeoisie provinciale, thriller psychologique aux accents hitchcockiens, long métrage qui trouble les identités, Les Biches est un fleuron dans la filmographie très riche de son auteur.

Jérémy Gallet