- Réalisateur : Pierre Jolivet
- Acteurs : Céline Sallette, Nina Meurisse, Julie Ferrier
Peu importe si cette fiction s’avère parfois irrégulière dans ses à-côtés. Car celle-ci se révèle suffisamment substantielle, documentée et incarnée pour mettre en valeur cet édifiant scandale qu’est la pollution du littoral breton. Voilà donc à ce titre un thriller indispensable.
Les Algues vertes
De : Pierre Jolivet
Avec : Céline Sallette, Nina Meurisse, Julie Ferrier
Genre : thriller, drame
Pays : France
Année : 2023
Face à la recrudescence de morts suspectes en Bretagne à proximité des algues vertes, Inès Léraud, jeune journaliste, décide de s’y installer pour enquêter sur le phénomène. Au fil de son investigation et de ses échanges, elle met au jour l’omerta implacable entourant les ravages écologiques et sociaux inhérents aux algues vertes en putréfaction, ces salades nauséabondes qui tuent. Elle va alors essayer, en dépit de multiples intimidations, de faire triompher la vérité…
L’intensité et la justesse apparaissent rarement comme le point fort du film "Les Algues vertes". Un simple regard sur son ouverture entrecoupée de paysages bretons à la fois magnétiques et empoisonnés, subitement ternis par la mort aussi tragique que sur-jouée d’un malheureux joggeur (Jean-René Auffray), l’illustre bien. Et ce n’est cependant pas une fin en soi. Scrupuleusement adapté de la bande-dessinée éponyme signée par la journaliste d’investigation Inès Léraud, le long-métrage s’attache ainsi davantage à coller fidèlement à son sujet qu’à livrer une fiction d’une solidité inébranlable. Or, cette fragilité délibérée et cette mollesse, quelquefois, dans la mise en scène ou la direction d’acteurs – Pierre Jolivet ne prétend pas jouer les Pakula ("Les Hommes du président", 1976) ou les Michael Mann (Révélations, 1999) – ne livrent rien de moins par ailleurs qu’un récit aussi efficace qu’indispensable. Didactique, parfois incarné et surtout précieux, "Les Algues Vertes" tisse minutieusement l’enquête édifiante de la journaliste radio Inès Léraud concernant les pollutions provoquées par les élevages porcins en Bretagne.
Il pourrait être aisé, en balayant d’un revers de main ce beau travail d’adaptation et de reconstitution réalisé par Pierre Jolivet, de ne s’en tenir qu’à pointer du doigt par exemple la faiblesse des échanges entre les protagonistes du film. S’il est vrai qu’une certaine artificialité affleure souvent au gré des dialogues - la faute à une sorte de distance infaillible que les mots et postures des personnages n’oblitèrent jamais -, cette symbiose chancelante agit paradoxalement comme un excellent révélateur. Quand bien même cet écueil découle-t-il d’une dramaturgie un peu en berne ou d’un manque de liant dans le jeu des acteurs, cet obstacle permet en effet aussi de traduire une vérité essentielle à saisir derrière le factice ou le préfabriqué : le gouffre abyssal qui sépare toutes les parties prenantes de ce dossier houleux, qui les empêche de se comprendre et de s’entendre. Ainsi, l’on voudrait d’abord railler l’ambiguïté trop ténue qui éclate souvent lorsqu’Inès (formidable Céline Sallette) se confronte à la répulsion brutale des agriculteurs – la construction peut-être trop caricaturale de certaines scènes, avec des plans de plus en plus serrés, pour obtenir mordicus des champs-contrechamps suffocants. Mais cette imperfection et ces archétypes figurent pourtant en creux une réalité : l’inexorable loi du silence condamnant tous ces pôles opposés (habitants soucieux de la vérité, agriculteurs, élus, groupes agroalimentaires…) à se rejeter. En cela, Pierre Jolivet évite avec subtilité le piège du binaire en montrant que l’analogie se cache aussi dans les contraires.
Là où le film fonctionne également, c’est lorsqu’il convoque (sans forcer) les ressorts du thriller, de bon augure dans cette perverse affaire d’état. Il faut dire que les faits parlent d’eux-mêmes : disparition d’éprouvettes, rapports d’autopsie égarés, forces de police et habitants sous influence… tous les ingrédients du suspense et d’une authentique machination s’avèrent de la partie et génèrent à une intrigue haletante. En cela, "Les Algues Vertes" se sert à bon escient d’une réalité odieuse pour distiller l’angoisse et surtout révolter sainement. Car cette affaire d’algues vertes qui empoisonne la Bretagne, sur fond d’entente agro-industrielle, s’apparente à un véritable mensonge d’état. Les pressions subies par Pierre Jolivet durant le tournage du film ne pourraient à ce titre trahir le contraire. Alors qu’importe le caractère vaguement inégal ou quelquefois peut-être trop scolaire du film, car son témoignage et sa conviction sociale sont cruciaux.
Du reste, "Les Algues Vertes" se révèle aussi souvent comme un remarquable portrait d’Inès Léraud, tout en engagement et en sensibilité. La prestation entre tendresse et résistance de Céline Sallette, au même titre que celle de Nina Meurisse qui incarne sa compagne Judith, joue pour beaucoup dans cette alchimie.
Adapté de la bande dessinée à succès éponyme d’Inès Léraud et sorti en salles en juillet 2023, "Les Algues vertes" est disponible en Blu-ray/DVD.