- Auteur : Edgar Mittelholzer
- Editeur : Les éditions du Typhon
A l’occasion de la sortie du Temps qu’il fait à Middenshot d’Edgar Mittelholzer, Yves Torrès, éditeur aux éditions du Typhon, répond à quelques questions.
Bepolar : Tout d’abord qui est Edgar Mittelholzer ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de traduire Le Temps qu’il fait à Middenshot ?
Yves Torrès : Edgar Mittelholzer (1909-1965) est un auteur singulier dans l’histoire littéraire. Il est le premier auteur des caraïbes à avoir eu un succès en Europe. Il a grandi en Guyane britannique, l’actuelle Guyana, où il a été confronté au racisme et aux injustices de classe qui régnait dans cette colonie britannique. Lui-même était métis et son père, un blanc, n’a cessé de le rejeter à cause de sa couleur de peau. Il en restera marqué toute sa vie et cette question du rejet, de l’altérité, habite profondément son œuvre. Après la guerre, à la recherche d’une vie meilleure, il quitte les caraïbes pour l’Angleterre où il rencontre Leonard Woolf, le mari de Virginia, qui va être son premier éditeur. Il va connaître un relatif succès mais ses multiples dépressions et ses problèmes d’argent vont le pousser à mettre fin à ses jours en 1965. Il est aujourd’hui totalement oublié en France alors que son œuvre continue à être publié dans le monde anglophone. Il est l’auteur d’une œuvre riche et tourmentée où il a notamment utilisé la littérature de genre pour parler de ses angoisses et des injustices. C’est ce qui nous a frappé chez cet auteur. La puissance d’un imaginaire habité où l’on sent un grand lecteur qui comme écrivain s’amuse avec les genres littéraires pour parler de problèmes profonds qui traversent la société et les individus. C’est le cas dans Le temps qu’il fait à Middenshot, un roman fou, où il utilise le polar pour le détourner, pour s’en moquer, et parler ainsi de notre rapport à la violence.
Bepolar : C’est un livre qui fait rire et trembler. Comment est-il écrit ? Que dire du style de son auteur ?
Yves Torrès : C’est exactement cela. Le temps qu’il fait à Middenshot est une comédie noire terrifiante. C’est bien le tour de force de Mittelholzer : il oblige le lecteur à se demander sans cesse s’il faut rire ou s’il faut avoir peur fasse à l’histoire qui se déroule devant nos yeux. On se demande si les personnages sont normaux, fous ou malades, on se demande comment ils peuvent vivre dans une telle atmosphère, on se demande en fin de compte si tout est bien réel quand soudain, un événement va tout accélérer : l’arrivée dans le village d’un inconnu qui va déposer une lettre comportant un message énigmatique : « Avertissez les habitants de Middenshot que je serai cette nuit dans leur ville ». C’est l’élément déclencheur de l’intrigue. L’originalité du roman réside aussi dans sa composition en trois parties : le vent, le brouillard, la neige. À chaque fois, Edgar Mittelholzer change de style d’écriture pour épouser les changements climatiques. C’est une écriture qui par son rythme, cherche à happer le lecteur, à l’immerger dans une ambiance habitée par les paysages qui deviennent de véritables personnages. C’est assez épatant à lire, à vivre, de se trouver immerger totalement dans ce décor tout en se demandant si on fait bien de suivre ces personnages dans cette histoire où la peur de cet inconnu qui rode se mélange aux pulsions dérangeantes des personnages principaux.
Bepolar : Il y a une galerie de personnages épatante. Est-ce qu’ils ont un point commun ? Comment Edgar Mittelholzer traite et campe ses personnages ?
Yves Torrès : Effectivement, on a la sensation que Mittelholzer, comme dans un conte, cherche à en faire de ses personnages des archétypes. Ils les poussent à l’extrême, sans doute pour que le lecteur, à partir de ce qu’il croit connaître, s’interroge sur ce que les personnages sont en train de faire, de dire ou de penser. Le lecteur peut facilement hésiter entre compassion et terreur face à l’attitude des personnages. C’est ce qui rend le roman très troublant.
Nous avons d’un coté la famille Jarrow, avec le père qui suite à un accident pense que sa femme, bien vivante, est décédée. Lorsqu’il veut communiquer avec elle, il demande à sa fille d’organiser des séances de spiritisme. Vous voyez en quoi cela peut être absurde, à la fois terrifiant et à la fois comique. D’un autre coté, il y a le voisin, Mr. Holme - le nom n’est pas anodin ! - c’est un ancien détective à la retraite obsédé par la botanique. Il fait également tout pour refréner ses désirs car ce qu’il souhaite, c’est passer pour un « gentleman » aux yeux des autres. Et enfin, il y a ce rôdeur qui va commencer à commettre des meurtres et ainsi plonger les personnages au cœur des ténèbres. Il y a une violence qui traverse les personnages, sans doute parce qu’ils sont tous unis par des désirs cachés qu’ils essaient de refréner et que les événements du roman vont dévoiler.
Bepolar : Les saisons, le temps, sont très présents. Il y a des ambiances très différentes. Comment joue-t-il avec le brouillard, le vent, la neige...
Yves Torrès : Oui comme le titre l’indique, le temps a une importance folle. Le lecteur est enveloppé par des ambiances follement sensorielles qui servent à décupler la trame narrative. La seconde partie le brouillard est à ce sujet remarquable : l’auteur n’écrit pas sur le brouillard mais épouse cet événement climatique dans sa façon d’écrire. Il jongle avec les pensées des personnages comme si nous, lecteurs, avancions dans le brouillard. Le regard masqué, enveloppé par la brume, on apprend des choses par petite touche mais on n’est jamais sûr que ce que l’on lit est réel. Ainsi encore une fois Mittelholzer joue avec les genres littéraires, on se demande si on n’est pas dans un roman d’épouvante avec des fantômes qui se jouent de nous pour nous révéler nos peurs les plus profondes. C’est vraiment une expérience de lecture rare et intense.
Bepolar : Un lecteur sur internet parle d’un numéro d’équilibriste un peu à la Fargo des frères Coen. Est-ce que la comparaison vous semble juste ?
Yves Torrès : En effet, c’est une filiation assez frappante. Notamment dans le traitement des personnages qui apparaissent comme des caricatures, ils ont un coté burlesque qui ne peut que faire rire les lecteurs. Nous pensons notamment aux deux personnages de détective qui viennent pour traquer le tueur qui rode dans Middenshot. Ils ont une manière très comique, très grotesque d’interroger les personnages. De plus, comme chez les frères Coen pour le cinéma, Mittelholzer s’amuse à faire des références à des styles littéraires très précis : le roman policier pour l’intrigue et le roman gothique pour l’attention portée à la nature. Enfin, également en substance, comme chez les frères Cohen, ce roman propose un regard féroce sur la société et les individus : notre besoin de violence, notre rapport à l’autre, notre difficulté à vivre ensemble etc. Ce serait absolument fascinant de voir ce livre adapté au cinéma par des réalisateurs de cette trempe !
Bepolar : On avait pu lire Edgar Mittelholzer avec Eltonsbrody. Y’a-t-il d’autres romans de lui à traduire ?
Yves Torrès : Eltonsbrody a été notre premier livre de Mittelholzer. Un roman gothique se déroulant sur l’île de la Barbade que nous avons publié en 2019. Un texte encore une fois truffé de références littéraire où le lecteur est frappé par la noirceur qui règne et qui rappelle les meilleurs textes d’Edgar Allan Poe. Nous gardons pour nous nos projets sur Edgar Mittelholzer, mais c’est certain qu’il reste encore de la matière à faire découvrir au public français tant cet auteur est fascinant, multiple et dérangeant.