Le Top des meilleures BD polar par BePolar ! #6
30. Shutter Island de Christian de Metter (1998) à partir du roman éponyme de Dennis Lehane. Voir aussi Scarface à partir du roman éponyme d’Armitage Trail (2011).
Coup de cœur graphique pour l’œuvre de Christian de Metter, qu’on admire pour ses clairs-obscurs presque monochromes, dans un style qui n’est pas sans faire penser au fauvisme (les couleurs en moins, donc). Avec de telles caractéristiques, de Metter ne pouvait que correspondre au polar, ou au moins à certaines œuvres noires telles que le Shutter Island de Dennis Lehane ou le Scarface d’Armitage Trail, de belles réussites. L’adaptation en BD de romans est un exercice délicat et tout particulièrement périlleux en polar, mais de Metter a réussi à trouver avec Shutter Island une troisième voie d’expression, unique, d’une même histoire, entre le roman et le film (réalisé 12 ans après, en 2010). Se hisser au niveau de l’un des plus talentueux romanciers de sa génération et de Martin Scorsese, chapeau.
Shutter Island, c’est l’histoire de deux policiers qui viennent enquêter sur l’évasion d’une internée d’un asile psychiatrique située sur l’île Shutter. Cette île et les personnages qui y gravitent semblent cacher de nombreux et lourds secrets…
31. L’Outremangeur de Jacques Ferrandez et Tonino Benacquista (1998). Voir aussi de Jacques Ferrandez Les Enquêtes du commissaire Raffini avec le scénariste Rodolphe (1980) et Alger la noire avec Maurice Attia (2012).
L’Outremangeur, c’est la rencontre, en 1998, de deux monstres sacrés du polar, au talent protéiforme. Au dessin, Jacques Ferrandez, l’admirable aquarelliste des Carnets d’Orient, qui s’est déjà frotté au polar en BD avec ses quatre Enquêtes du commissaire Raffini en 1980. Au scénario Benacquista, un homme déjà reconnu à l’époque pour ses romans noirs (Trois carrés rouges sur fond noir, La Commedia des ratés ou Les Morsures de l’aube, par exemple), qui vient de connaître son premier succès en littérature (Saga) et qui commence juste sa (riche) carrière de scénariste en BD et au cinéma (il collaborera notamment avec succès avec Jacques Audiard). Si L’Outremangeur semble à première vue de facture classique, il faut s’attarder pour apprécier pleinement la combinaison de ces deux talents, qui sort du cadre, si on peut oser cette expression.
Car cette BD, c’est l’histoire de Richard Séléna, un super-flic reconnu de tous, mais atteint d’obésité morbide, une menace claire pour son existence, miroir d’un désespoir profond. Une rencontre au jeu trouble va changer son existence.
32. Série IR$ de Stephen Desberg et Bernard Vrancken (1999). Voir aussi, les autres séries scénarisées par Stephen Desberg : Black Op avec Hugues Labiano (2005) Rafales avec Francis Vallès (2005) avec Cassio avec Henri Reculé, Empire USA avec plusieurs dessinateurs (2008), Miss Octobre avec Alain Queireix (2012)…
La série IR$ est souvent comparée à Largo Winch, avec qui elle présente certaines similitudes : histoires développées en dytiques, héros atypiques n’hésitant pas à utiliser des méthodes peu conventionnelles, centre névralgique et opérationnel aux Etats-Unis, prédominance de l’action. Des éléments clés dans l’énorme succès de cette série qui présente aussi bien des singularités vis-à-vis de beaucoup d’œuvres polar, tous supports confondus (romans et films compris) : un héros/enquêteur inattendu en la personne de Larry Max, agent spécial de l’IRS (Internal Revue Service), des histoires « réalistes » centrées sur l’évasion fiscale et le blanchiment, probablement les crimes les plus importants qu’ils soient à notre époque (en termes de revenus comme de désordre sociaux générés), un mystérieux fil rouge avec le troublant lien du héros avec une opératrice de téléphone rose, des plongées bien documentées dans la plupart des milieux brassant beaucoup d’argent… Stephen Desberg est un peu moins connu que d’autres grands scénaristes, mais il cumule pourtant les succès (mérités) et fait partie des plus influents de sa génération. Il est indéniablement l’un des maîtres du polar en BD avec plusieurs séries qui explorent les nombreuses possibilités du genre.
33. Série Blacksad de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido (2000). Voir aussi Les Indes fourbes avec Guarnido au dessin et Alain Ayroles au scénario (2019)
L’un si ce n’est le plus gros succès en BD polar du XXIème siècle, la série de Canales et Guarnido est une incontestable réussite qui s’est imposée en à peine 5 albums multi-récompensés : déjà un classique ! Blacksad est un mariage étonnant d’éléments rétros dans une mise en forme au rythme très moderne. Côté rétro, les nombreuses sources d’inspirations que sont par exemples les personnages, des animaux anthropomorphes (on peut y voir une actualisation du Roman de Renart ou un traitement type « roman noir » des personnages animaliers de Disney), l’omniprésence d’éléments de films noirs des années 50, eux-mêmes inspirés des univers de Raymond Chandler ou Dashiel Hammett (notamment dans le graphisme et le jeu de répliques, l’usage de la voix off et de silence « expressifs », l’omniprésence de la musique et tout particulièrement le jazz). Côté moderne, une narration épurée pour aller à l’essentiel, de magnifiques colorations à l’aquarelle et de nombreux clins d’œil ou eastern eggs (contenus cachés à l’œil non vigilant), chaque album ayant par exemple sa couleur dominante. On ne vous en dira pas plus et on vous laisse profiter de cette série au graphisme vraiment envoûtant.
34. Série Le Décalogue de Frank Giroud et différents dessinateurs (2001) : Béhé, Giulio De Vita, Jean-François Charles, TBC, Bruno Rocco, Alain Mounier, Paul Gillon, Lucien Rollin, Michel Faure, Franz. Voir aussi les suites avec les séries Le Légataire (2006) et Les Fleury-Nadal (2006).
L’une des plus belles réussites scénaristiques de la BD, cette saga a certes connu un très grand succès public mais n’est très certainement pas reconnue à la hauteur de ses (grands) mérites. Si d’aucuns la qualifierait plutôt de BD historique, c’est pourtant bien une enquête que les lecteurs tout autant que les personnages (limités, eux, à une époque, différente dans chaque opus) mènent à chaque album, sur la trace d’un manuscrit qui semble maudit, nommé « Nahik ». Celui-ci décrit un nouveau Décalogue, texte religieux supposément dicté par le Prophète Mahomet, à même de remettre en cause les fondements de l’Islam, et tout particulièrement les interprétations les plus violentes du Coran.
Les originalités de cette série sont nombreuses : chronologie à rebours (on remonte le temps sur les traces du manuscrit), dessinateurs différents à chaque album (ce qui leur donne systématiquement une tonalité propre, comme en écho à l’époque de l’action), mise en abîme des dix commandements du Décalogue hébraïque, dont l’enseignement est illustré par la narration (un peu à la manière du film Seven de David Fincher), ellipses narratives entre les différents tomes qui donnent à réfléchir aux lecteurs… On voyage avec plaisir dans le temps et l’espace en vivant par procuration des grands moments (souvent tragiques) de l’Histoire comme les destins particuliers de personnages parfois inoubliables.
