- Réalisateur : Dominik Moll
- Auteur : Pauline Guéna
Et si le polar n’était jamais qu’une quête sans fin mettant au jour les fondements du mal, déconstruisant l’asymétrie entre homme et femme ? Adoptant cet axe vertigineux, Dominik Moll livre peut-être le plus grand film policier de 2022.
Dominik Moll, le réalisateur d’"Harry un ami qui vous veut du bien" ou encore de "Seules les bêtes" - c’est dire si le cinéaste apprécie les portraits désenchantés -, prend pour point de départ la mort brutale de Clara, adulescente assassinée la nuit fatidique du 12 en rentrant d’une soirée. En substance, on voit la liberté, la joie de vivre et l’innocence de la jeune femme, dévorée par les flammes, littéralement partir en fumée. Le symbole et sa représentation, en passant du rêve au cauchemar, sont insoutenables. D’une douceur et d’une gaieté infinie - on approche résolument l’universalité, dans le sillage des toiles pré-raphaélites -, Clara (incarnée par l’hypnotique Lula Cotton Frapier) s’évanouit dans la nuit noire pour ne plus rien laisser de sa beauté ni de sa fraîcheur. Puis le cinéaste radiographie l’enquête de la police judiciaire visant à retrouver le tueur. Mais problème : les interrogatoires se multiplient et avec eux les fausses pistes. À tel point que ce crime odieux en forme de voie sans issue se révèle insoluble et finit par hanter les enquêteurs jusqu’à la folie.
Dès le départ, "La Nuit du 12" met en scène une double énigme : le caractère incompréhensible de l’assassinat de Clara - parce qu’impensable - et tous ces signes qui transforment inexorablement l’enquête en labyrinthe absurde. D’entrée de jeu sur les lieux du crime, le médecin légiste est en retard car il il a manqué la sortie. Sur son temps libre, Yohan le commissaire fait du vélo sur piste et tourne de fait inlassablement en rond. Puis au gré des interrogatoires, la nonchalance et le détachement des jeunes suspects - tous autant qu’ils sont des incarnations par excellence de la masculinité toxique, minimisant la violence jusqu’au délire - ne cessent de brouiller les pistes. Sans compter que les policiers eux-mêmes - tous des hommes - échouent pour la plupart à adopter un regard dépourvu de stéréotypes sur le crime et la victime - hormis peut-être Yohan et Marceau, les deux protagonistes principaux incarnés avec génie par Bastien Bouillon et Bouli Lanners.
Alors très vite, ce polar exceptionnel et son atmosphère souvent irrespirable, révèlent leur secret. À la manière de "Bowling Saturne", "La Nuit du 12" cherche davantage à pointer les affres de la condition féminine, à souligner les mécanismes latents d’une société gangrenée par la masculinité délétère, qu’à trouver un coupable - même si les enquêteurs mettent leur vie en jeu pour lever le mystère. Il s’agit ainsi en creux notamment de questionner la relation hommes-femmes. Sous cet angle, le ou les coupables pourraient être n’importe lequel des suspects interrogés, c’est bien là l’écueil. Comme si la culpabilité s’avérait ni plus ni moins collective. Si Dominik Moll se risque ici en cela à une médiation politique sur le féminicide, en mettant notamment le doigt sur la misogynie systémique, les moyens qu’il met en œuvre afin de souligner les différents biais apparaissent d’une finesse et d’une discrétion remarquables. Et cette immersion cafardeuse et désespérée dans les rangs de la police judiciaire - véritable reconstruction et déconstruction d’une équipe et de son enquête tortueuse - n’en oublie pas le genre du polar et des cold case. Et pour cause : "La Nuit du 12" reste par-delà sa poésie et sa causticité une œuvre des plus haletantes, avec des séquences d’une intensité souvent viscérale. Sous les dehors du thriller, Dominik Moll réussit grâce à ce dispositif composite là où de trop nombreux metteurs en scène échouent par manque de vision. Bravo !
Mention spéciale entre autre pour la séquence de la sortie de route littérale de Marceau, qui disparaît par dépit aux abords de la montagne - préfiguration de la liberté retrouvée de Yohan, qui arpente plus tard lui aussi la montagne à vélo par opposition au cercle vicieux auquel il semblait initialement condamné.
Disponible en VOD, "La Nuit du 12" s’inspire d’un fait réel décrit dans le roman 18.3 - Une année à la PJ de Pauline Guéna, publié en 2021.