Club Sang

Profitez de toutes nos fonctionnalités et bénéficiez de nos OFFRES EXCLUSIVES en vous inscrivant au CLUB.

JE REJOINS LE CLUB SANG

L’interrogatoire de Stéphane Keller pour Moneda

L’auteur de polar historique Stéphane Keller revient avec un roman qui nous plonge dans le Chili en 1973, jute avant le coup d’Etat : Moneda. Et c’est passionnant...

Bepolar : Quelle est l’idée de départ pour ce nouveau roman ?
Stéphane Keller : A l’issue de la rédaction de Mourir en Mai, il me semblait que le personnage de Paul-Henri de la Salles n’en avait pas fini avec moi, ni avec sa propre histoire. Il prenait à la fin du roman un bateau pour l’Amérique du Sud et après… ? Le retrouver une vingtaine d’années plus tard me paraissait judicieux. Il était nécessairement revenu de tous ses combats, il vivait chargé de culpabilité puisqu’il avait abandonné lâchement sa famille, mais aussi dans une forme de neutralité que des évènements historiques devaient bouleverser. Il était donc mûr pour traverser une dernière fois les soubresauts de l’Histoire avec un grand H et cette fois, y trouver une forme de rédemption.

Bepolar : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire une histoire au Chili en février 1973, alors que le pays est en plein tourmente, déstabilisé par les sanctions économiques des Etats Unis et alors le coup d’état de septembre de la même année se prépare ?
Stéphane Keller : Il y a une douzaine d’années de cela, j’ai travaillé sur un scénario pour Canal+, produit par Michel Rotman, scénario intitulé « Savoir-faire ». Il s’agissait d’évoquer la collusion entre certains hauts gradés français, théoriciens de la contre-insurrection depuis les guerres d’Indochine et d’Algérie et les juntes sud-américaines. Les militaires français comme Paul Aussaresses ou le colonel Lacheroy, auteur d’une conférence intitulée « Guerre révolutionnaire et Arme psychologique », ont largement contribué à la formation des troupes de chocs et des services de renseignements de différentes armées. Ils ont formé à Manaus, au Brésil, ou à Fort Bragg aux USA, un bon nombre d’officiers, leur enseignant les méthodes d’infiltration des révolutionnaires comme la façon de contrôler une population civile.
Outre le fait que le putsch du 11 septembre 1973 à Santiago du Chili, a été mis en place par la CIA et les diverses officines US, il est indéniable que des petites mains françaises ont œuvré en amont, apportant leur témoignage sur la méthodologie employée notamment durant la bataille d’Alger qui a vu le FLN être totalement démantelé. Paul Aussaresses a donné des conférences aux USA jusqu’en 2000, formant ainsi les futurs « tortionnaires » de Guantanamo. Pour revenir au Chili lui-même, j’avais à l’époque 14-15 ans et j’avais suivi passionnément, durant tout l’été, sur France-Inter notamment, les récits des envoyés spéciaux qui évoquaient la chute inéluctable d’un gouvernement paralysé par des grèves incessantes orchestrées par le patronat et des agents « externes ». L’adolescent que j’étais fut bouleversé par la mort d’Allende qui devenait instantanément l’incarnation du courage politique. Les images de la Moneda en flammes eurent autant d’impact sur moi que les bombardements du Vietnam en eurent quelques années auparavant. Il aura cependant fallu quelques décennies pour que les souvenirs d’un adolescent rejoignent les envies d’un scénariste, puis d’un auteur de thrillers politiques. Ce projet, au fond, est né en 1973, il aura mis cinquante ans pour voir le jour, toute une vie ou presque.

Bepolar : Dans ce contexte agité, on suit Paul Henri de la Salles, ancien nazi français reconvertit en gérant de bar. Comment pourriez-vous nous le présenter ? Et pourquoi lui avoir choisi un passé aussi sombre ?
Stéphane Keller : Paul-Henri de la Salles est à mes yeux l’incarnation de l’ambiguïté permanente des hommes. Il a choisi à 20 ans un camp, par conviction politique, par aveuglement, par soif d’absolu et l’horrible réalité de la guerre l’a rattrapé pour le broyer à tout jamais. C’est le héros idéal à mes yeux. Celui qui n’a apparemment plus de quête, celui que la vie a désarmé. C’est le chevalier errant par excellence. La fiction nous offre souvent des héros trop lisses et quand ils ne le sont pas, ils gardent ou ils retrouvent une ligne directrice qu’ils empruntent tête baissée. Ce sont parfois des personnages efficaces mais je les trouve pour ma part caricaturaux, faits d’un seul bloc. Ils manquent cruellement de contradictions. Paul est l’anti-héros, l’homme qui ne cesse de se tromper tout en ne se mentant jamais et en ne se cherchant aucune excuse. Il se regarde chaque jour dans la glace et sait parfaitement ce qu’il y voit. Il n’a aucune illusion sur lui-même et pourtant il va retrouver un semblant d’honneur en sauvant la vie d’un fils qu’il a abandonné et en choisissant un combat qui n’est pas le sien mais qu’il considère comme étant le seul digne d’être livré. En conclusion je dirais que plus un personnage est maltraité, plus il semble irrécupérable, plus il est riche en potentialités.
J’avoue enfin avoir été très intéressé par un documentaire intitulé « Ceux de Rollin », l’ancien lycée Jacques Decour. On y suivait une classe de terminale de 1938. Les élèves s’engageaient dans le conflit, des amis faisaient des choix différents, l’un devenant résistant, l’autre s’engageant dans la LVF puis dans la Waffen SS. Ces engagements radicalement opposés ne les ont pas empêché de renouer une véritable amitié après-guerre. Ces deux amis m’ont permis d’inventer les personnages de Lestienne et de P-H de la Salles, les héros de Mourir en Mai. La vie est une magnifique source d’inspiration.

Bepolar : C’est un polar historique. D’ailleurs votre propos d’introduction raconte cette période. Comment avez-vous travaillé votre documentation ?
Stéphane Keller : Ayant donc travaillé il y a une douzaine d’années sur le putsch du 11 septembre, je possédais une belle quantité d’ouvrages consacrés à la question chilienne. Il m’a suffi de relire mes notes et de relire certains livres. Le but n’étant pas le même et le média totalement différent, je me suis fort peu servi de mes notes. Savoir-faire et Moneda étant deux projets parallèles mais très éloignés l’un de l’autre. Ainsi le personnage principal de mon film devient un personnage très secondaire dans le roman. J’ai également visionné de nombreux films, documentaires, reportages concernant cette période précise. Le cinquantième anniversaire du putsch me permettant d’accéder à quantité d’images qui m’ont été hautement profitables. Enfin j’ai tenté de me couler dans la ville comme je l’avais fait avec l’Alger des années 50 durant la rédaction de Telstar.

Bepolar : Comme grande figure de cette période, il y a bien entendu Salvador Allende. Quel regard portez-vous sur lui ?
Stéphane Keller : Les enthousiasmes naïfs d’un adolescent font place au jugement moins tranché de l’adulte. Il n’en demeure pas moins que l’on ne peut être qu’admiratif ou tout au moins rempli de respect devant le courage d’Allende qui savait avant même son intronisation qu’il affronterait des tempêtes susceptibles de l’emporter. Son discours d’adieu à sa loge maçonnique, juste avant son intronisation en tant que Président de la République, est à ce titre véritablement éclairant. Il y adopte presque une posture christique, se sachant voué au sacrifice. Il a certainement envisagé le pire dès son arrivée au pouvoir. Si son action économique, via notamment la nationalisation de l’industrie du cuivre, a été aussi radicale c’est peut-être bien parce qu’il se savait condamné à brève échéance. Il fallait donc avancer à marche forcée, ce qui a bien évidemment irrité les investisseurs américains lésés, comme les très riches propriétaires chiliens inquiets de voir les paysans confisquer leurs terres. Le tort d’Allende aura été de prendre ses adversaires à rebrousse-poil et de s’afficher en révolutionnaire déterminé. S’il était d’une grande intelligence et d’une grande culture, il lui a manqué le machiavélisme qui lui aurait peut-être permis de se maintenir plus longtemps au pouvoir. Relisons néanmoins ses toutes dernières déclarations à la radio, le jour du putsch, on ne peut que s’incliner devant tant de détermination et d’élégance. Allende avait fait son service militaire dans la cavalerie. Il aura chargé sabre au clair face à des canons, si sa fin était prévisible, elle n’aura pas manqué de panache.

Bepolar : Quels sont les avantages et les limites du polar historique ? On imagine que c’est un plaisir de se plonger dans une période historique et d’y inventer une histoire...
Stéphane Keller : Je ne vois pour ma part que des avantages au polar historique. Loin d’être une prison, un carcan, le contexte historique ou politique choisi par l’auteur lui offre un arrière-plan, un décor, un écrin précieux. En outre explorer une période donnée de l’histoire vous permet de découvrir des détails, des aspects qui vous nourrissent et peuvent faire rebondir l’intrigue principale ou des intrigues parallèles qui enrichissent le propos. Le polar historique nous libère davantage qu’il ne nous handicape.

Le but consiste bien sûr à faire ressentir des émotions aux lecteurs.

Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices ressentent ou retiennent une fois la dernière page tournée ?
Le but consiste bien sûr à faire ressentir des émotions aux lecteurs. Il s’agit de fabriquer des personnages et des destins qui emportent ceux qui tiennent le livre entre leurs mains. Rien de pire que de refermer un livre en se disant, c’était pas mal mais qui donc étaient les personnages ? Ce flic à part écouter du jazz et se lamenter sur sa fille qui ne l’appelle plus, qui donc est-il ? Je mets donc un point d’honneur à peaufiner la caractérisation de mes personnages. Ils ne se ressemblent pas, ils ont tous un parcours différent, un drame intérieur, des fêlures, visibles ou non. L’humain reste ma matière première, le contexte politique et historique n’étant que des faire-valoir. L’homme, qui est-il ? Pourquoi agit-il ainsi ? voilà la première question qu’un auteur doit se poser. Si les lecteurs de Moneda ou de mes autres romans ont éprouvé de l’intérêt pour mes personnages alors j’ai gagné mon pari.

Bepolar : Dans Telstar nous étions en Algérie dans les années 50. L’affaire Silling nous entrainait dans les trente glorieuses, Rouge parallèle dans la France de 1945. Quelle autre période et de quel pays avez-vous envie d’explorer dans vos prochains romans ? Sur quoi travaillez-vous ?
Stéphane Keller : Au risque de vous décevoir, je n’ai aucun projet de roman en tête. Six ont été publiés en sept ans d’activité. J’ai dans le même temps écrit deux autres romans qui n’ont rien à voir avec le polar, aussi j’aurai bien du mal à les voir en librairie, je compte faire une pause de quelques semaines ou quelques mois, d’autant que je reste avant tout un scénariste écrivant pour la télévision ou le cinéma. Est-ce que je vais revenir en arrière ? Est-ce que plusieurs de mes personnages du passé vont se croiser et renaître ? Quel sera le contexte ? Je n’en sais rien à l’heure où je réponds à vos questions. Rouge Parallèle, Telstar, l’Affaire Silling, Le jour des fous, Mourir en mai, Moneda. J’ai six enfants, ils m’auront donné beaucoup de joie et de travail, mais pourquoi pas un septième, effectivement…

Bepolar : Qu’est-ce qui fait un bon polar ?
Stéphane Keller : A cette ultime question, je répondrai très simplement que tout est question de thème et de rythme. Rien de pire qu’un contexte sans saveur ou qu’un livre qui s’étire en longueur, rien de pire qu’un polar dont on ne comprend plus à qui l’on a affaire tant les personnages multiples se ressemblent et manquent de chair. Un polar c’est un peu comme une pièce de Feydeau, sans rythme et sans énergie, il devient ennuyeux. Vitez disait que l’ennui est indispensable au théâtre, disons alors qu’il est prohibé dans le polar.

Galerie photos

Votre #AvisPolar

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

ConnexionS’inscriremot de passe oublié ?

Bepolar.fr respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. et nous veillons à n’illustrer nos articles qu’avec des photos fournis dans les dossiers de presse prévues pour cette utilisation. Cependant, si vous, lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe constatez qu’une photo est diffusée sur Bepolar.fr alors que les droits ne sont pas respectés, ayez la gentillesse de contacter la rédaction. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.