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L’interrogatoire de Sarah Bordy pour Nos âmes sombres

Sélectionné pour le Prix Landerneau Polar, pour le prix TMV et pour le Prix Cognac 2024 du meilleur roman francophone, Nos âmes sombres de Sarah Bordy a été très remarqué lors de sa sortie. Interview...

Bepolar : C’est votre premier roman publié. Racontez-nous un peu votre chemin d’écriture jusqu’à lui ?
Sarah Bordy : J’ai toujours adoré les livres, j’ai toujours eu envie d’écrire, mais j’ai finalement commencé l’écriture assez tard car je me sentais très inhibée : pendant des années, toutes mes tentatives me semblaient si mauvaises et inabouties que j’abandonnais très vite. J’ai véritablement commencé à écrire vers 18 ans. J’ai écrit une ou deux nouvelles, mais cet exercice ne me plaisait pas tellement, car je n’y trouvais pas l’espace nécessaire pour développer mes personnages et mon intrigue. J’ai donc tâtonné pendant plusieurs années, au cours desquelles j’ai participé à plusieurs ateliers d’écriture et suivi des séminaires qui ont progressivement libéré ma plume. Aux alentours de l’année 2016 – j’avais alors 23 ans – j’ai enfin assumé mon envie d’écrire un roman, et ai commencé la rédaction de ce qui deviendrait « Nos âmes sombres ». J’y ai consacré une heure par jour, tous les jours, pendant 7 années intercalées de deux longues pauses de plusieurs mois. Vers l’année 2018, j’ai soumis un manuscrit inabouti de « Nos âmes sombres » à plusieurs grandes maisons d’édition, qui ne m’ont pour la plupart jamais répondu. Suite à cet échec, j’ai continué à travailler le texte – pendant 4 ans ! - jusqu’à ce qu’il me semble abouti, puis je l’ai soumis aux Editions du Gros Caillou, au cours de l’année 2022, dans le cadre du premier concours organisé par eux. Je n’ai pas gagné le concours, mais Sigolène m’a recontactée au début de l’année 2023 pour m’indiquer qu’ils avaient fait lire le texte à leur comité de lecture et souhaitaient le publier, ce que j’ai accepté après avoir échangé avec eux. Entre ma soumission du manuscrit au concours et sa prise de contact, se sont déroulés plusieurs mois pendant lesquels le texte a évolué ; par la suite, le travail éditorial l’a encore remodelé, jusqu’à la version finale.

Bepolar :Comment est né ce roman ?
Sarah Bordy : Ce roman trouve son origine dans un dossier qu’il m’a été donné de consulter lorsque j’étais étudiante et que j’étais en stage au parquet de Lyon. Je ne peux pas vous révéler le contenu exact de l’affaire, car je suis tenue par le secret professionnel, mais ce dossier a inspiré une toute petite partie de « Nos âmes sombres ». Il a été l’impulsion initiale qui m’a permis d’en établir le squelette – même si la bête finale est bien différente de ce que j’avais imaginé à l’origine ! Ce qui a nourri ensuite l’intrigue, c’est un contact étroit avec le quotidien, notamment à travers mon métier d’avocat qui est un formidable observatoire de la nature humaine. Je me suis plongée dans les personnages car je suis fascinée par l’ambiguïté des comportements, par la complexité des organisation sociales et leur impact sur les trajectoires individuelles. L’intrigue s’est construite autour des personnages, non l’inverse.

Bepolar :Qu’aviez-vous envie de faire ou de dire avec ce livre ?
Sarah Bordy : Mon but, à travers le roman, est d’entraîner le lecteur dans une enquête policière apparemment banale, au cours de laquelle les enquêteurs – deux gendarmes, dans mon cas - sont amenés à chercher « le méchant tueur ». Au décours de l’enquête, le lecteur examine la vie de tous les protagonistes impliqués dans une affaire bien plus sombre et complexe que ce qu’il pensait au premier regard. Là, il découvre qu’il n’y a pas d’innocent, pas de coupable, mais seulement des humains dans une arène, avec leurs désirs et leurs blessures qui les poussent à adopter des comportements que la société, traçant de manière arbitraire le périmètre des comportements répréhensibles, viendra parfois sanctionner, parfois non. Mon objectif est qu’au fil du roman, le lecteur finisse par se poser la question : mais où se trouve la violence, dans tout ça ? Où se trouve le mal, dans tout ça ? Est-ce vraiment si évident ? Le propos du roman est celui-ci : dans un monde inégalitaire, où il y a des grands gagnants et des grands sacrifiés, il faut se questionner sur l’origine de la violence et sa légitimité. En examinant le détail, on s’aperçoit que les prétendues évidences ne sont pas du tout des évidences, et que chacun comporte une part sombre et une forme de toxicité. C’est un constat inconfortable, oppressant – sentiments que j’ai cherché à faire ressortir dans la forme et la structure du texte – et doté à mon sens d’une forte dimension politique.

Bepolar :On y suit plusieurs personnages et notamment le lieutenant Julien Georget et son adjoint, Dylan. Qui sont-ils ? Comment pourriez-vous nous les présenter ?
Sarah Bordy : Julien Georget est un jeune gendarme ambitieux et complexé qui, pour des raisons personnelles, est animé par un fort besoin de faire ses preuves et de se prouver sa valeur à lui-même. Lorsqu’un entrepreneur local est assassiné dans les environs, il perçoit cet événement comme une occasion de démontrer sa compétence de gendarme. Mais l’enquête est confiée à un autre service que le sien, et la frustration de Julien se trouve donc renforcée. Cherchant à tout prix à récupérer le dossier, il va rapidement être confronté à des dilemmes moraux.

Dylan Roullier est un tout jeune gendarme qui se trouve sous la supervision de Julien, avec qui il a une relation compliquée : si les deux hommes s’apprécient, il y a également entre eux une forme de rivalité, induite notamment par les insécurités de Julien et par le charisme naturel et le succès de Dylan. Mais derrière ces apparences confiantes, Dylan est un écorché vif, avec une histoire familiale compliquée qui l’a conduit à développer un système de valeur bien à lui consistant à questionner l’autorité et à rechercher, avant tout, son propre intérêt.

Bepolar :On est à Pontarlier, en Franche-Comté. Quelle place ces lieux ont-ils eu dans l’écriture ? Est-ce que votre intrigue aurait pu se dérouler ailleurs ou l’endroit vous a-t’il inspiré ?
Sarah Bordy : La ville de Pontarlier joue un rôle important dans la construction du texte, et l’intrigue de « Nos âmes sombres » n’aurait assurément pas pu se dérouler dans un autre endroit.

En premier lieu, Pontarlier est la capitale du Haut Doubs, un territoire qui se caractérise par un environnement très particulier : forêts de conifères très denses, climat froid et humide, et sociologie spécifique induite par la Suisse toute proche. Cette proximité transforme certaines communes en véritables dortoirs et est à l’origine de l’épanouissement de zones commerciales aux dimensions totalement disproportionnées, vides pendant une grande partie de la semaine. D’où un fort contraste entre la nature environnante, qui conserve une beauté sauvage, souvent sombre, battue par les éléments, comme inviolée depuis la nuit des temps et auréolé de mystère, et des zones urbaines bien policées, d’une présentation impeccable, mais inégalitaires, parfois laides, souvent vides. J’ai utilisé ces contrastes, cette espèce de tension sous-jacente, comme une allégorie des personnages, pour lesquels le toxique, le sauvage, le honteux se dissimule sous une surface bien polie. Car tous les personnages de « Nos âmes sombres », absolument tous, ont un secret, et il en a été voulu ainsi.

En second lieu, Pontarlier est la ville où j’ai grandi. Et comme bien des gens qui sont nés dans de toutes petites villes, j’ai longtemps vécu déchirée entre l’amour viscéral que je lui porte, à elle et son environnement naturel, et le désir intense de quitter cette coquille oppressante, désir qui m’a animée durant toute mon adolescence. Cette tension, que j’ai évoquée explicitement à travers le personnage de K, est une allégorie de la tension entre le bon et le mauvais, entre l’amour et le rejet, que je développe dans chacun des personnages de « Nos âmes sombres ».

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Bepolar :Tout le monde semble se connaître de longue date, ce qui rend l’enquête un peu étoufante parfois pour les protagonistes. Vous aviez envie d’une petite ville et de ce climat ou personne n’est vraiment anonyme ?
Sarah Bordy : Oui, c’est à dessein que j’ai choisi une petite ville où tout le monde se connaît comme cadre narratif. Je cherchais à construire une histoire en huit clos afin d’accentuer ce sentiment d’oppression et d’inquiétude, et la petite ville était pour ce faire un cadre idéal. Par ailleurs, le côté « tout le monde se connaît » permettait de développer un des aspects principaux de "Nos âmes sombres" : le secret. Car l’un des autres grands sujets de "Nos âmes sombres" est la différence entre ce qui est donné à voir et ce qui est réellement. Le cadre de la petite ville, son fonctionnement sociologique où tout le monde se connaît, où tout le monde a des dossiers sur tout le monde mais où personne n’en parle ouvertement, me semblait vraiment idéal pour explorer ce sujet.

Bepolar :Les chapitres sont courts, très addictifs. Comment avez-vous construit et écrit votre roman ?
Sarah Bordy : J’ai construit le roman avec l’idée suivante : on part de personnages isolés, qui vivent chacun avec leurs problématiques, et dont le petit monde est bouleversé chacun à sa manière par une affaire de meurtre. On continue à les suivre et peu à peu l’histoire tisse des liens entre eux, jusqu’à ce qu’on comprenne qu’ils sont étroitement liés à travers une série d’événements que le lecteur découvre progressivement. Il y a également une accélération dans "Nos âmes sombres" : on commence avec un rythme assez lent, qui pose chacun des personnages, et l’histoire se poursuit, s’emballe, comme un étau qui se resserre. A travers cette construction, j’ai voulu induire un sentiment d’oppression, d’inquiétude chez le lecteur. Les chapitres courts servent cet objectif, et me sont également apparus nécessaires pour que le lecteur conserve le plaisir de la lecture au fil de ce roman, qui a quand même par ailleurs une construction narrative assez complexe.

Bepolar :Qu’est-ce que vous aimeriez que vos lecteurs et lectrices gardent une fois la dernière page tournée ?
Sarah Bordy : Un sentiment d’oppression, d’inquiétude, et un doute : « Est-ce que, finalement, je condamne vraiment ? ».

Bepolar :Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Sarah Bordy : Je travaille actuellement sur un second roman policier, qui se déroulera également en Franche-Comté, mais pas à Pontarlier. On y retrouvera peut-être certains personnages de Nos âmes sombres, mais c’est encore, pour l’heure, trop tôt pour le dire avec certitude !

Bepolar :Qu’est-ce qui fait un bon polar ?
Sarah Bordy : Je pense qu’un bon polar doit exploiter les codes du polar sans tomber dans le cliché, ce qui est difficile. Comme tout bon roman, il doit également retenir le lecteur captif de la narration (le lecteur ne doit pas s’ennuyer), tout en portant un vrai message, qui va au-delà d’une simple distraction.

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