- Acteur : Kirk Douglas
Eh non, il n’y a pas que les Cagney, Bogart et Mitchum dans l’âge d’or du polar hollywoodien. Parmi eux, certes un peu plus en retrait, se nichait un certain Kirk Douglas. Alors que l’acteur est mort à l’âge de 103 ans, autorisons-nous un tour d’horizon autour de ses films noirs les plus remarquables.
Avec sa fameuse fossette et son visage saillant dont les replis semblaient nous conter la filmographie hors-norme, le dernier géant de l’âge d’or hollywoodien s’en est allé. 103 ans de vie, une centaine de films et une carrière de 60 ans… l’acteur aura marqué parmi les plus belles décennies du cinéma. Chantre du film d’aventures, entre autres chez Richard Fleischer ("Vingt-mille lieues sous les mers" en 1954 et "Les Vikings" en 1958), le père de Michael Douglas aura marqué l’imaginaire de nombreux cinéphiles ayant grandi au gré de ses péripéties filmiques. Dresser la liste des autres illustres metteurs en scène ayant fait appel à lui s’avère tout simplement vertigineux. Figurent parmi eux Tourneur, Stahl, Mankiewicz, Curtiz, Walsh, Wilder, Wyler, Hawks, Minnelli, Hathaway, King Vidor, Cukor, Kubrick, Aldrich, Mann, Kazan ou encore Huston. On a connu palmarès plus modeste.
Mais si Kirk Douglas était d’abord connu pour personnifier l’ultime maillon de la grande histoire du western ("La Captive aux yeux clairs" chez Hawks, "L’Homme qui n’a pas d’étoile" chez King Vidor…), et ce au même titre que John Wayne ou James Stewart, il fut un temps également l’un des comédiens les plus retentissants du film noir. De ceux que l’on classe non loin des James Cagney, Humphrey Bogart ou Robert Mitchum, et ce, pas uniquement parce qu’il croise lui aussi Lauren Bacall ("La Femme aux chimères", Curtiz, 1950).
Dès son premier film au cinéma en 1946, "L’Emprise du crime" de Lewis Milestone, Douglas incarne le fragile Walter O’Neill, un procureur à l’enfance traumatique devenu malgré lui complice de crime. Avec Martha Ivers (suprême Barbara Stanwyck, qui venait de tourner le mythique "Assurance sur la mort" de Billy Wilder), le personnage forme un couple étrange, à la fois romantique et morbide. Au gré de ses scènes nocturnes et jeux d’ombres symbolisant la culpabilité des protagonistes, le film de Milestone affleure la maestria d’une œuvre de Fritz Lang. Et si le dispositif apparaît classique (crime, coupable, complice et un événement perturbateur), le film fait montre d’un suspense haletant sans jamais épargner le spectateur. Un polar par excellence absolument incontournable, ne serait-ce que pour son ambiguïté malsaine.
L’année suivante, en 1947, la deuxième contribution de l’acteur à l’histoire du cinéma se nomme "La Griffe du Passé" (parfois nommé "Pendez-moi haut et court"). Film noir culte, cette œuvre de Jacques Tourneur représente rien de moins que l’un des meilleurs films du cinéma tous genres confondus. Sa trame paranoïaque, où chaque protagoniste finit par se méfier de l’autre, se veut un archétype du polar à femme fatale. Kathie Moffat, mante religieuse en puissance portée par la splendide Jane Greer, va ici condamner à la dépendance, et ce, d’un simple regard, à la fois le détective Jeff (Robert Mitchum) et son génial antagoniste maléfique Whit (Kirk Douglas).
Après ces deux chef d’œuvre, la trajectoire de l’acteur dans l’histoire du polar au cinéma se poursuit mais de façon plus délayée. Moins brillants, les films du genre qu’il choisit alors lui permettent néanmoins d’affiner son jeu. Dans "L’Homme aux abois" (Byron Haskin, 1947), il campe le truand Noll Turner, protagoniste peu enclin à partager une somme d’argent avec son ancien complice Frankie Madison (Burt Lancaster). Au centre de cette œuvre inégale : la magnétique Lizabeth Scott. En 1951, dans "Histoire de détective" de William Wyler, Kirk Douglas incarne l’inspecteur new yorkais Joe McLeod. Connu pour la psychologie ciselée de ses personnages, Wyler offre à l’acteur un rôle préfigurant l’ambivalence du Orson Welles de "La Soif du Mal" (1958) ou encore du Clint Eastwood de "Dirty Harry" (Siegel, 1971). La performance entre d’ailleurs en résonance avec la contamination par le mal vécue par Chuck Tatum dans "Le Gouffre aux chimères" (Billy Wilder), l’autre grande réussite de Douglas en 1951.
De par leurs imperfections, les polars qui jalonnent ensuite le chemin de l’acteur lui donnent quelque part une forme d’authenticité. Non pas de quoi faire vaciller la légende Kirk Douglas mais plutôt de quoi l’épaissir. On trouve ainsi parmi eux "Ville sans pitié" (1961), drame policier de Gottfried Reinhardt, "Le Dernier de la liste" (1963), cluedo sans âme signé John Huston, ou encore "Un détective à la dynamite" (1968), proto buddy-movie avec Eli Wallach et la jolie Sylva Koscina, le tout réalisé par David Lowell Rich. À noter en 1968 un Kirk Douglas en mafieux impassible et impeccable dans "Les Frères Siciliens" de Martin Ritt. On n’atteint pas la maestria du "Parrain" (Coppola, 1972) mais cette tentative de revival du film de gangsters mérite le détour.
Après une histoire de braquage assez maîtrisée et réalisée par Michele Lupo en 1972 dans "Un homme à respecter", les décennies 70-80 sont l’occasion pour Douglas de rejouer les flics intraitables à la Eastwood. Chez Jeff Kanew l’acteur devient alors le policier Carl « Buster » Marzack dans "Un flic aux trousses" (1983), avant de s’immiscer dans la comédie en braqueur sénescent aux côtés de Burt Lancaster dans "Coup double" (1986). Suivra une apparition drolatique dans la farce criminelle "L’embrouille est dans le sac" (John Landis, 1991) avec Sylvester Stallone en tête d’affiche. Sans devenir le symbole iconique du polar, Douglas aura néanmoins circonscrit le genre à travers tout ce qu’il compte de tonalités. Une performance impétueuse à l’image de l’acteur.