- Réalisateur : Eric Garcia
- Acteurs : Giancarlo Esposito, Tati Gabrielle, Rufus Sewell, Paz Vega
Présenté comme un puzzle dont les épisodes peuvent être regardés dans n’importe quel ordre, Kaleidoscope se distinguerait-t-il davantage par son concept que par son originalité ? Notre réponse ici.
Minisérie en huit épisodes, "Kaleidoscope" relate la mise en œuvre du plus grand casse jamais tenté, depuis sa préparation 24 ans plus tôt aux lendemains de sa concrétisation. Peu importe l’ordre de visionnage des épisodes, la minisérie fonctionnerait comme un véritable puzzle…
Le produit, car il serait trompeur de considérer "Kaleidoscope" et son concept prétentieux autrement, rassemblent sans surprise quelques-uns des ingrédients les plus iconiques du cinéma de casse. De ceux chéris peu ou prou par toute série à suspense qui se respecte. Évasion de prison, braquage(s), passé mystérieux, pseudo antihéros aussi ingénieux qu’ambigu, méchant impitoyable, flashback(s), twist… la minisérie américaine coche ainsi plus ou moins toutes les cases des grandes péripéties archétypales du film de hold-up. Cette résolution obsessionnelle à réunir coûte que coûte le maximum d’événements propices à l’aventure en seulement quelques épisodes aurait pu s’avérer louable. Mais d’entrée de jeu, "Kaleidoscope" place son dispositif vendu comme un puzzle, fatalement bankable, au premier plan quitte à bâcler en chemin son intrigue – outrageusement classique et creuse.
Le principe de cette série inspirée de faits réels est simple : son spectateur choisit à sa guise l’ordre dans lequel visionner chacun des épisodes. Aucun numéro ne vient donc hiérarchiser ces derniers, uniquement désignés par une couleur. Ce qui n’empêche pas Netflix de suggérer par exemple, preuve des limites du mécanisme, d’opter pour l’ordre chronologique violet, vert, jaune, bleu, blanc, rouge et rose afin de suivre le braquage depuis ses prémices 25 ans avant jusqu’à son dénouement six mois après. Mais le créateur de "Kaleidoscope" Eric Garcia met en perspective de nombreuses approches (« 5040 manières possibles », avance-t-il) : l’une adoptant une dynamique façon "Orange is the New Black", une autre à la Tarantino, une autre plus typée enquête classique, etc. Sauf que les dés sont truqués : seulement sept des huit épisodes peuvent en réalité être regardés de manière aléatoire – exception faite, ainsi, de l’épilogue final intitulé « Blanc ». Une astuce frisant l’escroquerie puisque tous les épisodes du prétendu « puzzle » relèvent soit du flashback, soit du flash-forward – un rouage dont usent et abusent déjà d’innombrables séries.
Pire : incapable de doper ou ne serait-ce que de porter cette mécanique a priori ludique, la série se révèle d’une pauvreté vertigineuse infiniment éloignée des références dont elle se réclame ("Jackie Brown", "Les Infiltrés"…). Et pour cause : tellement convaincu du pouvoir addictif de son procédé, "Kaleidoscope" en oublie sa matière et l’étoffe qui la compose. Car hormis l’efficacité de quelques acteurs – dont l’immense Giancarlo Esposito, figure mythique devenu incontournable depuis "Breaking Bad" jusqu’à "The Boys" –, la série échoue pratiquement à tous les niveaux. Malgré l’enchainement frénétique des événements, l’ennui menace à chaque séquence ou presque. C’est que le scénario rejoue beaucoup trop littéralement les poncifs du (mauvais) film de braquage, depuis le choix minutieux des comparses jusqu’à la tension suprême du casse en lui-même. Ceux qui apprécient la sophistication d’"Ocean’s Eleven" et consorts passeront donc leur chemin. Quant à la mise en scène, insignifiante et totalement négligée, on la cherche sur tous les plans. De même que la réalisation et la musique, qui apparaissent le plus souvent d’une platitude sans nom. Quid par exemple d’un semblant de sensation lors du casse dans le Diamond District, avec ses fumigènes et son opération millimétrée ? Même avec le « Sympathy for the Devil » des Stones en guise de réconfort, inutile de traquer ici l’once du Michael Mann de "Heat" : vous n’en trouverez évidemment pas l’ombre.
Si bien que "Kaleidoscope" ne propose donc en définitive qu’une série à suspense d’une mollesse et d’une flemmardise assez phénoménales, aussi bien de par sa structure en trompe-l’œil – aussi habile soit-elle en apparence – qu’au gré de sa substance dans l’ensemble plutôt indigente - la faute à une écriture en berne. Certes, le rythme et l’intrigue réservent peut-être parfois suffisamment d’agréments pour divertir ou maintenir éveillé. La chose se vérifie d’ailleurs quelquefois le temps d’un épisode ou d’une séquence. Malheureusement, en dépit de ces quelques (trop) rares qualités, "Kaleidoscope" affiche un profond manque d’imagination. Il s’agit quelque part d’un cas d’école très représentatif des productions Netflix misant tout sur le marketing sans aucune vision artistique. Écueil d’autant plus blâmable que cette minisérie rivalise paradoxalement souvent de solennité et de grandiloquence. C’est pourtant probablement grâce à ce bluff bien achalandé que "Kaleidoscope" sait et saura attirer ses spectateurs.
Vaguement tirée d’une histoire vraie (la disparition de 7 milliards de dollars d’obligations, car endommagées par les inondations provoquées par l’ouragan Sandy), "Kaleidoscope" est disponible sur la plateforme Netflix.