- Auteur : Michaël MENTION
- EAN : 9782264068781
Laissez vous enivrer par la mortelle poésie de Pierre François Lacenaire
Né en 1979 à Marseille, Michael Mention s’est fait une jolie place dans le monde du polar ces dernières années, notamment avec Sale temps pour le pays qui a glâné coup sur coup le Prix du polar lycéen d’Aubusson et le Grand Prix du roman noir français au Festival International du Film Policier de Beaune. Il vient de publier un polar "historique" qui nous emmène à Paris durant l’hiver 1835 sur les traces d’un tueur également poète à ses heures perdues... Pour Bepolar, il a accepté de répondre à quelques questions sur La Voix secrète.
Bepolar : D’abord, comment êtes-vous tombé dans le polar ? Y’a-t’il eu des romans marquants pour vous, au point de vous donner envie d’en écrire ?
Michael Mention : J’ai commencé par écrire des chroniques satiriques à la fac, puis une nouvelle humoristique, avant d’écrire mon premier bouquin, publié en 2008. Un récit « doux amer », comme on dit, à tendance onirique. C’est à cette période que j’ai découvert le roman noir grâce à Thompson, McBain, Giono, Ellroy, Izzo… des influences auxquelles se sont greffées des réalisateurs tels que Melville, McTiernan, Tavernier, Friedkin, Sautet, Malle ou encore Fincher. C’est après avoir vu son film Zodiac - un modèle d’écriture et de réalisation - que j’ai écrit Sale temps pour le pays, premier volet de ma trilogie polar publiée chez Rivages/noir. Depuis, je n’écris que du roman noir, où l’intrigue est surtout un prétexte pour aborder des sujets sociaux et politiques.
Un mix entre Hannibal Lecter, Oscar Wilde et Iggy Pop.
Bepolar : Comment est née l’idée de La voix Secrète ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous intéresser à Pierre-François Lacenaire ?
Michael Mention : Tout est parti du film Lacenaire de Francis Girod, avec Daniel Auteuil. Je l’avais vu à l’âge de 14 ans et j’avais été très impressionné par ce personnage atypique, charmeur et pervers. À l’époque, j’avais lu ses Mémoires rédigées en prison et ce qui m’avait frappé, c’était la profonde intelligence de cet assassin. Dans mon quotidien comme dans l’écriture, je suis très attaché à la notion de nuance et ça me vient de mon intérêt pour Lacenaire : c’est à travers lui que, adolescent, j’ai appris à relativiser le clivage judéo-chrétien « Bien-Mal ». Aujourd’hui, si j’aime autant le roman noir, c’est que cette littérature s’intéresse au trait d’union entre ces deux concepts, à ce flou qui caractérise la nature humaine.
Bepolar : Est-ce que vous pouvez nous en faire un peu le portrait ?
Michael Mention : Issu d’un milieu bourgeois, il a été scolarisé chez les Jésuites, ce qui a largement dessiné son futur profil de révolté. Homme de lettres, il a écrit de nombreux textes, chansons et pièces de théâtre qui ont eu peu de succès, d’où sa rancœur qui s’est transformée en haine envers les élites et le Régime. C’était aussi un bisexuel assumé doublé d’un escroc qui n’hésitait pas à manipuler et/ou tuer plus faible que lui pour « arrondir ses fins de mois ». Une sacrée pourriture, complexe, qui conciliait la perversion criminelle, le raffinement intellectuel et le panache punk. Bref, Lacenaire m’apparaît comme un mix entre Hannibal Lecter, Oscar Wilde et Iggy Pop. Tout ce que j’aime !
Lacenaire a toujours lié le crime et l’écriture
Bepolar : On le décrit comme poète et assassin. Le crime et la littérature sont-ils liés chez lui et si oui, de quelles façons ?
Michael Mention : Lacenaire avait un ego surdimensionné, à l’image de nombreux assassins. Il a tué pour diverses raisons (vols, vengeance, etc) qu’il a justifiées par un rejet de son époque, une anarchie clamée lors de son procès. Cette question est au cœur du roman alors, pour que les lecteurs se fassent leur propre opinion, je ne vais pas développer dans cette interview. Mais qu’il ait été réellement révolté ou juste crapuleux, Lacenaire a toujours lié le crime et l’écriture : avide de reconnaissance, il n’a eu de cesse de revendiquer ses actes dans la presse, dans ses Mémoires. Il est devenu célèbre par ses crimes, mais il est entré dans la légende avec la publication de ses Mémoires.
Bepolar : Comment est-ce que vous avez travaillé en terme de documentation ?
Michael Mention : La même méthode qu’à chaque fois : beaucoup de lectures et de visionnages de documentaires, de vérifications d’infos et de recoupements. La phase la plus intéressante est toujours celle du tri - moment épuisant, frustrant, mais essentiel - pour ne garder que ce qui nourrit le récit. La voix secrète aurait pu être bien plus long et plus riche en infos sur le 19e siècle, mais je voulais éviter le piège du polar historique lourdingue avec ses « chapitres Wikipédia ». Des trucs comme ça, j’en ai lu et c’est insupportable, on dirait que l’auteur te fait la leçon. Et mon job, polar historique ou pas, c’est de raconter une histoire.
Bepolar : Une des forces de votre roman, c’est la relation entre le policier et le criminel. Vous aviez envie de jouer sur ce qui opposent et rapprochent les deux mondes ?
Michael Mention : Oui, d’autant que Allard et Lacenaire étaient réellement amis. J’ai d’abord cru que c’était un parti-pris de scénariste dans le film de Girod, mais non, leur amitié était réelle, ce que ces deux-là l’ont confirmé dans divers écrits et articles. Une relation très mal perçue à l’époque - notamment par l’inspecteur Canler - même si dans ses Mémoires, il reconnaît des qualités humaines à Lacenaire.
J’ai un peu le cafard depuis que La voix secrète est paru
Bepolar : Un petit mot sur l’histoire éditoriale de La voix secrète. Qu’est-ce que ça représente pour vous d’être dans la collection Grands Détectives de 10/18 ?
Michael Mention : Évidemment, je suis très touché que le bouquin ait plu à l’équipe de 10/18, mais je ne suis pas du genre à être fier d’être publié chez tel ou tel éditeur. Ce qui compte, ce n’est pas le prestige d’une collection, c’est la qualité de sa ligne éditoriale. Et en l’occurrence, que ce soit chez Rivages/noir, Ombres Noires ou Grands Détectives, j’ai la chance de bosser avec des éditeurs passionnés qui, par leur exigence, me permettent d’affiner davantage mon écriture à chaque parution et c’est très stimulant.
Bepolar : Le roman vient de paraitre il y a quelques jours mais vous avez sans doute rendu le roman il y a quelques mois. Quel regard portez-vous dessus ?
Michael Mention : À la fin de chaque bouquin, j’ai toujours un gros coup de blues. Tu passes des mois sur un sujet, tu réécris, t’y penses au boulot, tu peaufines, tu crises quand ça te paraît bidon, tu t’y remets dès que t’as une demi-heure de libre – crevé ou malade – et puis, un jour, tout s’arrête : t’as rendu le manuscrit, il ne t’appartient plus… bref, j’ai un peu le cafard depuis que La voix secrète est paru et même si je m’éclate en écrivant un nouveau bouquin, ce cafard persiste. Heureusement, les retours des lecteurs sont très positifs et ça me console un peu.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous maintenant ?
Michael Mention : J’écris sur les années 60-70, aux États-Unis, une période déjà abordée dans Fils de Sam, mon true crime consacré au serial killer David Berkowitz. À la différence que, cette fois, je traite cette période charnière dans le quotidien, à travers plusieurs personnages. C’est à ce jour mon bouquin le plus ambitieux, le plus viscéral aussi, et j’ai hâte de le partager avec les lecteurs.