- Acteurs : Idris Elba, Jonathan Majors, Regina King , Zazie Beetz
"The Harder They Fall" déconstruit l’image d’Épinal du western blanc et des cowboys blancs. Ici, des esclaves affranchis reprennent tous les rôles – gentils et méchants – et c’est une nouvelle page du genre qui s’écrit. Une œuvre cartoonesque brutale, le plus souvent réussie.
C’est un fait que les westerns classiques hollywoodiens se sont bien gardés de mettre en évidence en 125 ans d’existence : au cours du 19e siècle, 25 % des cowboys étaient noirs. Nombre d’entre eux, esclaves affranchis, ont ainsi bel et bien pris part à la légende de l’Ouest au même titre que les archétypes à la John Wayne popularisés par Ford. Ce fut notamment le cas du cowboy Nat Love (Jonathan Majors), du shérif Bass Reeves (Delroy Lindo), du bandit Cherokee Bill (Lakeith Stanfield) ou encore du hors-la-loi Rufus Buck (Idris Elba). Des personnages historiques que le cinéaste Jeymes Samuel a donc judicieusement choisi de placer au cœur de son film "The Harder They Fall", superproduction à 90 millions de dollars disponible sur Netflix. C’est simple, tous les protagonistes du long-métrage renvoient de fait aux oubliés des livres d’histoire, à l’exception de Trudy Smith (Regina King), l’unique personnage inventé de toute pièce du film. Et le réalisateur Jeymes Samuel a l’élégance de ne jamais mettre en avant ces protagonistes à travers leur couleur de peau, ni d’en faire une caution morale. Propulsés par un excellent casting, ils existent et traversent les péripéties, c’est tout.
Si "Cry Macho", le dernier film de Clint Eastwood sorti au même moment, pousse le néo-western dans ses retranchements les plus éthérés et minimalistes, "The Harder They Fall" se place quant à lui (tout en rompant avec les codes de par son angle afro-américain) dans une dynamique infiniment plus bigarrée et traditionnelle à l’égard du genre du western. Car au-delà de la remise en perspective historique – militantisme que ne renierait d’ailleurs pas Spike Lee –, le film de Jeymes Samuel explore et déconstruit le western « spaghetti », quitte à imiter et dynamiter en filigrane l’héritage des papes du sous-genre que sont les Sergio Corbucci ("Django", 1966) et autre Sergio Leone ("Le Bon, la Brute et le Truand", 1966), trop blancs. Plastiquement, cela se traduit par une mise en scène très dynamique qui ne lésine pas sur le faste et les mouvements d’appareil baroques. De même, bien sûr, la violence occupe, comme toujours côté western spaghetti, une place importante dans l’esthétique générale, dans une veine assez bande dessinée.
L’analogie avec "Django Unchained" (Quentin Tarantino, 2012) – bien que vilipendé par Spike Lee pour son usage récurrent du mot « nigger » – ou "The Birth of a Nation" (Nate Parker, 2016) tombe sous l’évidence. Le traitement plutôt humoristique ou sarcastique de la brutalité, de même que le caractère infiniment poseur des protagonistes, ne cessent du reste de rapprocher "The Harder They Fall" du style de Tarantino. Seulement, le film de Jeymes Samuel – tout en réservant une place de choix dans la fiction contemporaine à des figures illustres jusqu’ici injustement ignorées – échoue en partie à briller totalement. Pourquoi ? Parce qu’il manque un double-fond dans l’écriture scénaristique, une profondeur insoupçonnée et bouleversante. Car même aussi étincelant et opératique soit-il (l’affrontement final, entre autres, est assez spectaculaire et virtuose), "The Harder They Fall" n’en demeure pas moins balisé et sans grande surprise, sans la moindre ouverture métaphysique. Ce qui n’empêchera pas toutefois de saluer le traitement plutôt malin et manichéen de sa colorimétrie : une ville nocturne, toute de rouges et d’ocres d’un côté où évoluent les protagonistes du film, de l’autre une ville blanche immaculée pour symboliser avec humour l’entre-soi blanc. Autre réussite : le thriller persiste (surtout en amorce et en clôture du film), ne serait-ce que dans l’impétuosité, et ce, même lorsque le second degré guette. Un caractère composite du meilleur effet. Il faudra à l’avenir suivre attentivement le travail de Jeymes Samuel, déjà connu comme musicien et compositeur sous le pseudonyme de « The Bullits », dont c’est ici le premier long-métrage.
"The Harder They Fall" est disponible sur Netflix