- Auteur : Gilles Martin-Chauffier
- Genre : Polar
- Editeur : Grasset
- Date de sortie : 31 août 2011
- EAN : 9782246789024
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Résumé :
Sait-on ce qui se trame dans le XVIIIe arrondissement de Paris ? Ce qui se passe dans les cours d’immeubles, les caves et les étages de l’ensemble Artois-Picardie ?
Le commissaire Kergénéan, cynique et manipulateur, n’en croit pas ses oreilles quand on lui annonce l’enlèvement d’un jeune juif du quartier. Une guerre des gangs ? Une autre affaire Ilan Halimi ? Et si l’on avait juste un peu dérangé le chaos naturel du trafic de drogue ? Que cache Hassan, le premier de la classe ? Qui protège Anne-Marie, la professeure du collège, une égérie de la mode qui aurait mal lu le Coran ?
Du bureau dy ministre de l’Intérieur au parvis d’un cité, en passant pas les suites du Bristol, Gilles Martin-Chauffier aime écrire là où ça fait mal, entre hypocrisie des uns et paranoïa des autres. En ces temps de montée de l’extrémisme, voici Paris en temps de paix. Le pacte républicain dans le hachoir du communautarisme subventionné. Drôle de paix...
Source : Editions Grasset
universpolars 17 septembre 2024
Paris en temps de paix - Gilles Martin-Chauffier
Ça suffit, Jonas. On n’est plus dans la jungle, ici. Redescends de ton palmier et ouvre les yeux. Les rames de métro et les sièges d’autobus ne font pas partie de l’héritage de ta tribu. Si l’art contemporain t’intéresse tant (graffitis), tu n’as qu’à aller à Beaubourg ou dans une galerie de Saint-Germain au lieu de glander dans les parkings de supermarchés. Tu radotes, tu ressors toujours les mêmes vannes, t’as des rides au cerveau. Quand tu gueules, tu as l’impression que le vent disperse les nuages mais tu n’es qu’une brute décérébrée qui nous saoule. Par ta faute, un cours sur deux tourne à la bouffonnerie. Et là, tu recommences ton numéro. Tu peux gonfler comme un Michelin en classe, dans trois ans tu seras à la ramasse. Ta seule chance, c’est d’avoir pour proviseur cette carpette. Tu devrais lui lécher les pieds au lieu d’essuyer les tiens sur lui..."
Le message est passé, le ton est lancé. Hassan, le jeune "Beur" de la classe vient de boucler le caquet de son camarade d’école Jonas, un black balèze. Tout débute dans cette classe avec la visite d’un commissaire de la police - le narrateur - et un représentant de la RATP. L’objectif de ces deux fonctionnaires est de sensibiliser les élèves, âgés de 15 à 18 ans, au sujet de l’incivilité dans les transports publics. Est également présent le proviseur de l’école, un gros mou qui n’a aucune autorité sur ces jeunes du XVIIIème arrondissement de Paris.
"A l’entendre, on avait l’impression d’assister à un film en noir et blanc des années 30 avec un prof à la Pagnol décrivant des écoliers de la Provence d’antan."
Le lecteur remarquera assez rapidement que ce roman traite de problèmes raciaux, divergences ethniques entre populations juives et arabes principalement, devant malheureusement se côtoyer. Jusqu’à provoquer une guerre de gangs ? Possible. Déjà cette jeune fille juive qui se fait lourdement agresser par un jeune arabe, Tarik, et qui en réchappe de peu pour le vol de son sac à main, entraîne bien des débats au niveau politique, respectivement au niveau de la mairie. Faut-il arrondir les angles en minimisant le cas pour éviter le pire ? Voilà le genre de questions qui se posent. Et forcément, la police n’a pas vraiment envie de rentrer dans ce jeu-là, surtout un mois avant la sortie des statistiques annuelles !
"Un SDF avec Opinel, c’est un petit port d’arme de sixième catégorie. Une trentaine par jour et, en une semaine, le taux d’élucidation des affaires du quartier remontait de 3 ou 4 %. Pas de plaignant, pas de victime, pas d’enquête et des chiffres qui font plaisir à la Place Beauvau : cela s’appelle la culture du résultat."
Entre un maire aux procédés douteux, malhonnêtes, personnage hypocrite et gras dans tous les sens du terme, qui se met du côté qui l’arrange comme une girouette, un médiateur rattaché à la mairie, arabe et beau-parleur, qui essaye de diriger la police dans des directions qui arrangent tout le monde - surtout lui - et un juge écoeurant, laxiste, qui a tendance à "victimiser" les délinquants, le commissaire Hervé Kergénéan - notre narrateur - tente de trouver un juste milieu pour calmer les esprits et contenter la populations. Cela tombe plutôt bien, le calme c’est son truc, l’incompétence et l’insuffisance aussi.
Hervé Kergénéan.. Un flic manipulateur et cynique qui apprécie énormément son adjoint Jérôme Revaux, dit J.R., qui travaille d’une manière efficace et dynamique. Un fonceur. Pourquoi il l’aime tant ? Car il résous passablement d’affaires et, de cette manière, notre cher commissaire peut en tirer profit, tirer les couvertures, les draps et même toute la literie à lui. Un flic amoureux aussi, suite à sa visite au lycée. L’élue ? La prof de français, Anne-Marie Donneville, qui donne sa vision de la délinquance en tant qu’institutrice. Et cela plaît à Hervé Kergénéan !
Lorsque le jeune Tarik est retrouvé dans la rue le visage vitriolé, méconnaissable, c’est la consternation dans le milieu arabe. Pour Abdel, le fameux médiateur de la mairie, et pour toute la communauté beur, il s’agit évidemment d’une vengeance des juifs. Le commissaire Kergénéan promet quand à lui une enquête neutre, ce qui ne va pas plaire à tous le monde.
Pour Abdel-le-médiateur, fouiner dans le milieu arabe pour retrouver le ou les responsables est une grosse connerie et il s’y oppose fermement. Protégerait-il quelqu’un ? Peut-être Hassan, souvenez-vous, le jeune beur visiblement instruit qui a bouclé le caquet au black de sa classe lors de la visite du commissaire. Mais pourquoi lui et dans quel intérêt ? Et pourquoi Anne-Marie, la prof de français, semble également protéger son "chouchou", Hassan. Des questions sérieuses pour notre commissaire je-ramène-tout-le-monde-au-calme. La réalité des choses va lui faire mal, très mal.
Le feu aux poudres est mis le lendemain. Abdel-le-médiateur a avisé la presse et a accordé une interview lamentable. "Acharnement de la police sur la communauté arabe, aucun soutien à la famille, vengeance des juifs, La France harcèle les beurs...". La guerre est déclarée. Le chef du cabinet de la Ministre de l’Intérieur convoque le commissaire et lui ordonne de taper dans la fourmilière arabe, d’une part "pour faire taire ce bougnoule d’Abdel", et d’autre part pour montrer à la population ce qui se cache vraiment derrière cette communauté.
L’enlèvement du frère de la petite juive qui s’était fait agresser par Tarik ne va pas que mettre le feu aux poudres, mais carrément menacer le XVIIIème arrondissement de l’explosion d’une bombe atomique, d’un choc des cultures, une guerre communautaire. S’agit-il d’une vengeance, d’une sale histoire de trafic de drogue, ou autre chose ? Une nouvelle affaire "Ilan Halimi" ? Ce qui n’était pas vraiment prévu, c’est que le ravisseur, habile et méfiant, va vouloir traiter qu’avec le commissaire Kergénéan alors que l’enquête venait d’être remise aux mains de la Crim. Ça y est... Guerre des polices pour couronner le tout.
Aucun personnage de ce roman n’est digne de confiance, vraiment aucun. Ni dans la police, ni dans la justice ni surtout dans la politique. Pour le maire, ce grassouillet invertébré, tout va bien dans son arrondissement. Ce qui est important, c’est de gagner des électeurs et bien se faire voir. Pour le reste, on verra bien.
Gilles Martin-Chauffier pointe du doigt un problème de taille, difficile à gérer, tels que le racisme et l’antisémitisme dans cet arrondissement explosif, avec des autorités impuissantes, inefficaces, qui ne cherchent qu’à noyer le poisson. La police n’est pas en reste avec notre commissaire Kergénéan, grand fainéant qui s’appuie lourdement sur son adjoint, et qui attend que les problèmes se règlent d’eux-mêmes. Un commissaire bien décevant, l’archétype de l’anti-héro qui n’hésitera peut-être même pas à se laisser corrompre.
Le style est linéaire, agréable, fréquemment ponctué d’un humour subtile, des dialogues, des propos d’une grande finesse et perspicacité. Cependant, j’estime qu’il n’en faudrait pas plus, au risque d’atteindre une certaine lourdeur. Mais j’avoue que je me suis tout de même régalé. Je cite :
"Tout le monde en dit toujours trop. Les poissons ne finiraient pas dans nos assiettes s’ils l’ouvraient moins."
Cette fiction pue la réalité et la crédibilité, le lecteur se noie petit à petit dans cette vérité qui se déroule dans ce XVIIIème arrondissement de Paris. Malgré un léger ennui vers le milieu du roman, je suis resté très attentif et bluffé par ce qui se passe dans cette partie de la capitale. L’auteur ne donne pas beaucoup de crédit aux personnages politiques qui gèrent ce désastre et cela aussi, désolé, ça sent la crédibilité à plein nez. Égoïstes, prétentieux, politicards-girouettes qui tournent comme dans un cyclone, lamentable. Gilles Martin-Chauffier aurait-il mis le doigt là où ça fait mal ? Allez savoir. Néanmoins, Paris en temps de paix... Pas vraiment !