- Réalisateur : Cédric Jimenez
Plus fin et mesuré qu’avec “Bac Nord”, Cédric Jimenez livre une plongée prenante aux côtés des enquêteurs sur la piste des terroristes en fuite des attentats du 13 novembre. Une œuvre aussi décente que fouillée mais qui manque de consistance ?
Une immersion au sein des équipes de l’anti-terrorisme durant les 5 jours d’enquête ayant suivi les attentats du 13 novembre.
La perspective d’une adaptation cinéma tirée des événements jalonnant et suivant les attentats du 13 novembre avait de quoi inquiéter. Tout simplement parce que s’emparer d’un sujet aussi revêche et délicat que cette tragédie suppose nécessairement une retenue, un regard singulier, une minutie et une humilité. Or, une telle précision n’était clairement pas l’apanage de “Bac Nord”, le précédent film du réalisateur Cédric Jimenez. Hanté par le cinéma de genre, les raccourcis archétypaux et une sorte d’emphase un peu pompière calfeutrée par-dessous une veine pseudo documentaire (la caméra à l’épaule immersive), le film ne prétendait pas à autre chose qu’à la fiction pure et dure. Une philosophie assez proche finalement d’un polar divertissant à grand spectacle, soucieux de certains détails accrocheurs mais sans réelles subtilités. Si “Novembre” ne contourne certainement pas tous les écueils rencontrés par son grand frère “Bac Nord”, son scénario infiniment plus habile et maîtrisé le place dans une tout autre catégorie.
Ce qui saute aux yeux de prime abord dans “Novembre” et la chose s’avère louable, c’est sa méticulosité et sa décence. Car jamais (ou presque) le film ne cherche à spectaculariser les faits, les rendre plus distrayants et poseurs, ou alors dans une limite disons respectueuse. L’un des points forts de “Novembre” repose ainsi sur son synopsis se refusant à arpenter les attentats perpétrés ce soir-là. Car oui, le film s’interdit d’investir l’impensable, le sordide et l’incongru. Le récit se focalise en effet exclusivement sur les enquêtes et interventions de la police, entre autres de la sous-direction antiterroriste, pendant les cinq jours ayant suivi les attentats du 13 novembre. Rendue invisible, l’horreur s’en tient donc au second plan, reléguée par exemple par quelques récits fugaces de blessés (certes pas toujours très justes) ou par l’urgence de la traque des terroristes. L’autre qualité concerne la polyphonie des points de vue : le film suit de nombreux personnages, parmi lesquels en premier lieu le chef des opérations de la cellule anti-terroriste, Fred, et une policière subalterne surinvestie, Inès - respectivement interprétés, non sans une certaine élégance, par Jean Dujardin et Anaïs Demoustier.
Tout comme le film “Zero Dark Thirty” (Kathryn Bigelow, 2012) dont il reprend par exemple l’esthétique et la construction de l’assaut central, “Novembre” fait de l’action le moteur de son récit. Il ne s’agit pas d’une action au sens spectaculaire mais d’un dispositif où les protagonistes se situent par définition dans l’action. Ainsi, le spectateur se trouve immergé au cœur de la traque des terroristes. Enquêtes en amont, sur le terrain, écoutes, interventions, filatures… “Novembre” apparaît comme une œuvre tout entière portée par le mouvement de ses personnages, chacun d’eux étant pris dans une urgence absolue. Et si la justesse et la retranscription des faits semblent durant la première moitié du film assez redoutables de concision et de netteté, une question finit par se poser, plus épineuse : comment réussir en définitive à articuler finement des personnages prisonniers de cette agitation irrépressible ? Car c’est là sans doute l’une des principales limitations de “Novembre” : finir en cours de route par perdre de vue ses protagonistes. Inconvénient qui touche aussi l’angle du film en lui-même : derrière toutes ces images qui s’entrecroisent jusqu’à se supprimer les unes les autres au gré de la poursuite des tueurs, quel message délivre le film ?
La mise en scène pour sa part ne tranche pas. Dès l’introduction en plongée sur les immeubles indifférenciés se juxtaposant dans les quartiers d’Athènes, c’est la nébulosité et une logique de diffraction qui domine à travers les plans. L’enjeu consiste certes à métaphoriser l’opération vacillante et manquée de Fred, sur les traces d’Abdelhamid Abaaoud, mais pas uniquement. Car une même dynamique adaptée au gros plan et à la caméra à l’épaule, pour illustrer l’effervescence générale et la quête qui achoppe, apparaît de mise tout au long du film. Seule la séquence en vue subjective lors de l’assaut retentissant donné à Saint-Denis change la donne - l’une des rares fois dans le film -, à plus d’un égard au profit cette fois du sensationnel et de l’effroi. Pas de quoi néanmoins permettre à “Novembre” de distiller une ligne interprétative claire.
La question du message indistinct délivré par le film, probablement laissée inconsciemment en suspens, trouve au contraire sa justification du côté du spectateur. La raison est que “Novembre” demeure en dépit de ses apparences un polar à suspense qui, sans rechercher outre mesure l’étourdissement, ne peut complètement se soustraire au cinéma de genre et à ses tics. Qu’importe que le public connaisse déjà le fin mot de l’histoire, l’angoisse reste un enjeu crucial et tout le travail effectué en matière de sound design et d’atmosphère le prouve. Ce qui n’empêche cependant pas le film d’offrir une plongée des plus fascinantes à travers la quête sans relâche et polyphonique des enquêteurs.