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Les Rêves échoués de Carine Joaquim, l’interrogatoire

Bepolar : Comment est née l’idée de ce nouveau roman ?
Carine Joaquim : J’ai eu l’idée de ce roman lorsque j’étais moi-même adolescente. J’ai écrit alors une première version de l’histoire. Il y a quelque temps, je suis tombée sur le manuscrit dans la cave familiale où il avait passé plusieurs décennies. Je l’ai feuilleté, émue par ce qu’il ravivait, mais déçue du texte. Je ne retrouvais rien, dans ces mots-là, de l’élan, de la révolte torturée et de la noirceur dont j’avais gardé le souvenir. Alors j’ai refermé le manuscrit pour ne plus le rouvrir, et j’ai décidé, presque comme un défi, de réécrire cette histoire.
Bien sûr, ce n’est plus tout à fait la même. L’essentiel de la trame demeure néanmoins.

Bepolar : On y suit Clarisse, 14 ans, en pleine crise d’adolescence et en pleine
fugue. Qui est-elle, cette jeune Clarisse ?

Carine Joaquim : Clarisse est une adolescente au profil assez compliqué. Diagnostiquée précoce quand elle était toute petite, elle ne correspond pas à l’idée que l’on se fait généralement des personnes à « haut potentiel ». Loin d’être une élève brillante, c’est une jeune fille provocatrice et insolente qui ne fournit aucun travail scolaire et qui a de gros ennuis au collège. Ces caractéristiques sont en réalité très fréquentes chez un certain nombre d’élèves précoces : leur mode de fonctionnement particulier les isole parfois des autres, et leur esprit critique aiguisé peut les mener à l’affrontement voire à la rupture, aussi bien avec l’école qu’avec leur milieu familial.

Le personnage principal est cette jeune fille un peu perdue, à la fois très lucide dans ses raisonnements et naïve dans certains de ses comportements, impulsive et agressive pour masquer des fragilités que l’on apprend à découvrir au fil de l’intrigue.

Bepolar : Il y a aussi Tony, un jeune homme qui va accompagner Clarisse dans sa fugue. Lui aussi, qui est-il ?
Carine Joaquim : Tony est un jeune homme que Clarisse rencontre par hasard et qui lui vient en aide. C’est un adulte mais, à 21 ans, il demeure proche de l’adolescence. Clarisse, elle, veut grandir trop vite en s’affranchissant de toute autorité.

L’un comme l’autre traversent, à différents niveaux, une période située quelque part entre l’enfance et la maturité, une sorte de frontière beaucoup plus floue que ce que la majorité légale décrète, où les deux personnages oscillent entre discernement et irresponsabilité et où, finalement, ils franchissent les passerelles –et les interdits- pour se trouver et se comprendre.

Bepolar : A-t-il été facile pour vous, autrice adulte, de replonger dans les
affres de l’adolescence ?

Carine Joaquim : Pas toujours.
Adulte, on a tendance à perdre le sentiment d’intensité omniprésent chez les adolescents. On sourit des anciennes colères, on s’amuse des premiers flirts. C’est normal de relativiser, mais c’est aussi une forme de reniement qui creuse le fossé entre les générations.
Je crois que les adultes ne devraient pas oublier l’adolescent qu’ils ont été ni la force souvent exagérée de leurs émotions d’alors.
Pour ma part, au-delà des souvenirs de ma propre adolescence, les choses sont facilitées par mon métier d’enseignante. Côtoyer les jeunes de l’âge du personnage fait partie de mon quotidien. Je les observe, je les accompagne et de temps en temps, ils me tiennent à distance, parfois en échec, parce qu’ils érigent autour d’eux des murs que seule la fiction me permet de franchir.

Bepolar : Il était déjà question du corps dans Nos corps étrangers, notamment celui de votre héroïne. Dans ce nouveau livre, Clarisse est en pleine adolescence. Est-ce que la question du corps est importante pour vous et quel regard portez-vous sur ces corps pour qu’ils traversent ainsi vos deux romans ?
Carine Joaquim : La question du corps n’est pas importante pour moi en particulier : je crois qu’elle est importante en soi. Même en voulant tout intellectualiser, en privilégiant la raison aux passions, nous restons captifs d’un corps, de ses transformations, de ses désirs, de ses défaillances. Nous apprenons à maîtriser ce qui peut l’être. La complexité de l’être humain résulte en partie de l’équilibre impossible entre le spirituel et le charnel, tout au long de l’existence.

Dans Nos corps étrangers, le corps révèle ce que la conscience s’évertue à ignorer. Il y avait aussi dans ce roman, comme dans Les rêves échoués, la thématique du corps pendant l’adolescence. Transition par excellence, c’est un moment de la vie où on ne peut pas l’ignorer : en changeant, en s’échappant, en trahissant aussi, le corps devance la conscience.

Bepolar : Il y a la famille aussi. Elle se délitait dans Nos Corps étrangers. Ici les parents sont démissionnaires et démunis face à Clarisse. Pour vous la famille, c’est l’enfer ?
Carine Joaquim : La famille n’est pas nécessairement l’enfer, et heureusement, mais elle est essentielle. Qu’elle soit structurante, dans le meilleur des cas, ou destructrice dans le pire, elle pose des fondations qui demeurent au-delà de l’enfance. C’est la référence à partir de laquelle on se construit, soit dans l’identification, soit dans la rupture, parfois en hésitant entre l’une et l’autre.

Ce qui me frappe, c’est le fait que la famille soit si fréquemment perçue, à l’adolescence, comme une sorte de prison, et les parents comme des geôliers. Beaucoup de mes élèves expriment cela de manière plus ou moins explicite. Rêver de liberté, pour eux, c’est s’imaginer « partir loin », comme je l’ai si souvent entendu. Mais c’est impossible et ils grandissent avec une impression d’enfermement.

Une jeune fille de 14 ans, un jour, m’a dit qu’elle ne serait jamais libre, que sa famille n’accepterait jamais qu’elle épouse quelqu’un en dehors de sa communauté et qu’elle était captive d’un destin imposé. Elle semblait à la fois désolée et résignée, parce qu’il aurait fallu, pour changer cela, s’arracher définitivement à une famille à laquelle elle était malgré tout profondément attachée.

Les parents, eux, se confient volontiers sur leur sentiment d’impuissance face à un enfant qui refuse de se conformer aux projections dont il a fait l’objet. Certains demandent de l’aide, à un éducateur, un psychologue, d’autres préfèrent ignorer la réalité en faisant comme si tout allait bien ou comme si les responsabilités étaient extérieures.

Il y a tellement de schémas familiaux. Ce n’est pas toujours l’enfer, mais au moment de l’adolescence, les remises en question sont presque inévitables. Ce sont ces secousses dont j’avais envie de parler, celles qui ébranlent l’édifice. Les choses peuvent ensuite rentrer dans l’ordre, ou au contraire s’effondrer, mais au plus fort du séisme, personne ne sait s’il s’en sortira sauf.
Dans le roman, Clarisse ne peut se révéler à elle-même qu’en s’éloignant de ses parents, en trouvant refuge dans un lieu où leur existence même semblerait effacée : elle choisit donc résolument la fuite.

Bepolar : Le roman est paru juste avant l’été. Quelles sont vos prochaines dates
de dédicaces ?

Carine Joaquim : Je serai à la fin du mois de septembre au Festival international de géographie à Saint-Dié-des-Vosges, puis, fin novembre, au Salon du livre de Saint-Lys.

Bepolar : Et planchez-vous déjà sur un autre roman ? Quels sont vos projets ?
Carine Joaquim : J’ai deux idées de romans qui prennent forme de manière simultanée, et pour le moment j’ai du mal à me consacrer pleinement à l’un des projets au détriment de l’autre. J’ignore lequel finira par s’imposer.
Mais d’ici là, j’ai un manuscrit tout neuf, achevé il y a peu, qui attend de sortir du tiroir. Peut-être.

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