Bepolar : Comment est née l’idée de "Tu ne seras plus mon frère" ?
Christian Blanchard : À partir d’un documentaire. Un soldat de l’Armée Syrienne Libre (ASL) était chargé d’exfiltrer des repentis de Daech (oui, ça existe). Durant son interview, il a parlé des « lionceaux du califat », les Ashbals, des enfants, parfois très jeunes, endoctrinés par Daech. Il a eu cette phrase terrible : « si je pouvais les retrouver, je les tuerais tous et leur famille avec. Ce sont des bombes à retardement ». Impossible de passer à côté d’une telle déclaration. « Tu seras plus mon frère  » avait son premier fil directeur.

Bepolar : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur la Syrie et sur le printemps arabe ?
Christian Blanchard : Comme tout le monde, j’ai suivi les événements en Syrie de mon fauteuil, via le biais de la télé et des chaînes d’infos. J’ai souvent été en colère face à l’inaction des pays occidentaux, États-Unis, Europe et France principalement. Nous avons « abandonné » les gens qui voulaient vivre libres dans une démocratie. J’ai eu envie d’écrire sur cette guerre mais vue de l’intérieur, faire vivre ce conflit par le prisme des combattants.

Bepolar : Quelle a été la part de documentation ?
Christian Blanchard : Énorme. C’est la première fois que je me suis autant documenté. Pour pouvoir écrire sur un sujet, il faut en connaître bien plus qu’il n’y paraît ensuite dans le livre. J’ai vu de nombreux documentaires, récupéré une multitude d’articles et j’ai, peu à peu, reconstitué le déroulement chronologique de cette guerre. La difficulté ensuite a été d’effacer dans le livre le côté didactique de mes recherches. Ne pas être un enseignant qui déroule les faits au tableau noir. En ça, les deux frères m’ont bien aidé.

Bepolar : Comment pourriez-vous présenter Kasswara et Kamar, deux frères qui vont s’opposer dans le conflit et plus tard ?
Christian Blanchard : Étant donné que ce conflit est, au départ, une guerre civile entre deux camps, la dualité entre les deux frères est venue naturellement. Idem pour leurs parents : père français chrétien et mère syrienne musulmane. Il est évident que je penche pour Kasswara et sa cause. Mais je pense ne pas être manichéen, et la cause défendue par Kamar est, à ses yeux, à ceux de sa mère et d’une partie de la population syrienne, juste. J’avoue que, pour accentuer le côté romanesque du livre, j’ai volontairement mis Kamar dans la position du cadet qui regardait avec envie les prouesses de son frère. Ensuite, il s’en émancipera. Normal.

Bepolar : Il y est aussi question du retour des enfants de djihadistes français en France. Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce sujet ?
Christian Blanchard : Les questions sous-jacentes : sont-ils dangereux pour nos sociétés occidentales ? Sont-ils des bombes à retardement ? Sont-ils « reprogrammables » ? Personne n’a la réponse à ces questions mais elles se posent réellement. Pour l’instant, très peu d’enfants sont revenus en France. On les oublie dans des camps surpeuplés en Irak ou en Turquie où les conditions de vie sont atroces. Nos gouvernants ferment les yeux mais cette situation ne pourra pas durer éternellement. Qu’allons-nous faire d’eux ?

Bepolar : Et puis il y a Florence Dutertre, qui s’occupe de ces enfants. Qui est-elle pour vous ?
Christian Blanchard : Florence Dutertre existe réellement… quelque part. Elle fait partie d’une autre dualité : on ne peut pas laisser ces enfants sans aide mais sont-ils dangereux ? Des procédures existent en France pour le retour des mères qui sont parties faire le Djihad en Syrie ou en Irak, mais les lois sont-elles suffisantes pour porter un diagnostic sur les « lionceaux du califat » ? Florence est un être humain avec ses sensibilités mais aussi ses peurs et, surtout, celle de se tromper dans un sens comme dans un autre : mettre en liberté des bombes à retardement ou enfermer des enfants inoffensifs ? Ce sont, avant tout, des enfants qui ont subi ce qui leur arrive.

Bepolar : En toile de fond, il y a la question bien entendu du terrorisme et des attentats en France. Cela fait beaucoup de sujets brûlants. Est-ce que c’est un roman qui a été facile à écrire ?
Christian Blanchard : Quand j’ai été au clair avec la documentation et que j’ai pris un peu de distance avec elle, ce roman n’a pas été si difficile à écrire. Paradoxalement (peut-être), la partie française a été plus délicate à construire. D’ailleurs mon éditrice me l’a fait retravailler en profondeur. J’en profite d’ailleurs ici pour la remercier une nouvelle fois.
Je n’avais pas un plan très détaillé mais je savais que je devais passer par des étapes obligatoires. Ensuite, reste le mystère de l’écriture… Je suis incapable de tout analyser.

Bepolar : C’est un roman qui nous tire, nous autres lecteurs et lectrices, de nos zones de conforts. Comment est-ce que vous aimeriez que les lecteurs sortent de votre roman ? Qu’aimeriez-vous qu’ils en gardent ?
Christian Blanchard : Bien sûr, il y a la dualité entre les deux frères qui donnent, je pense, une force à ce livre, mais il y a surtout notre regard sur ce conflit, qui est d’ailleurs loin d’être terminé. Individuellement, on ne peut pas faire grand-chose, mais rien ne nous empêche de nous poser des questions sur nos politiques (au sens large). C’est bien de sortir de notre zone de confort. La COVID inhibe tout sur son passage. N’oublions pas les Kurdes, le rôle de la Turquie et de la Russe dans cette zone du monde. Restons attentifs. Peut-être verrons-nous les réfugiés syriens, irakiens avec un autre regard ? J’aimerais, même si je sais que l’on retourne très vite à nos problèmes individuels, que l’on n’oublie pas ces gens. De toute façon, on reparlera, à un moment ou à un autre, du retour des enfants et de leur famille. Cette affaire n’est qu’à son début. On ne pourra pas continuer à fermer les yeux, à verser des milliards (Europe) pour que la Turquie garde sur ses terres les réfugiés de ce coin du monde.

Bepolar : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Christian Blanchard : J’ai déjà terminé, en premier jet, un nouveau manuscrit. Comme à chaque fois, je prends un risque puisque je ne fais jamais 2 fois la même chose, ni ne traite 2 fois du même sujet. Là, je reviens en France. L’histoire se déroule sur les 4 ans de la vie d’un adolescent, de 12 à 16 ans. C’est évidemment un roman noir. Je ne peux pas en dire plus. Ce jeune va vivre des années particulières qui vont totalement le dépasser. Pour l’instant, le manuscrit est étudié par mon éditrice. Je croise les doigts. À chaque manuscrit, tout est remis en cause. Ce n’est pas parce que j’ai déjà été édité par Belfond que mon éditrice va publier mon manuscrit les yeux fermés. Loin de là ! En attendant son retour, je me suis déjà lancé dans une autre histoire qui débute en novembre 1918. La mort va rôder pendant tout le livre… Mais ceci est une autre aventure.