Bepolar : Vous êtes romancier et scénariste. Vous avez touché à de nombreux domaines. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce polar ? Quelle a été l’idée de départ ?
Jean-François Kierzkowski : Je suis un grand lecteur, mais pas exclusivement de polars. Lorsqu’il m’arrive de me plonger dans un livre de ce genre, je suis à chaque fois intrigué par l’efficacité de son fonctionnement : dans un polar, le canevas littéraire et extrêmement balisé, l’intrigue répond à des stéréotypes qui se répètent d’un livre à l’autre. À force, on pourrait imaginer une lassitude… et c’est pourtant le contraire qui se produit : le lecteur en redemande ! Un pavé de près de mille pages n’effraie pas (ce qui, avec la science-fiction, est en littérature une exception. Tous les éditeurs vous le diront : « Pour les autres genres, plus c’est court, mieux c’est. »)
En tant qu’écrivain, j’ai voulu me confronter à ce mécanisme à part : parvenir à écrire un long roman répondant aux codes du genre, tout en tenant le lecteur en haleine. Au centre de l’histoire, j’avais cette idée de répétition, d’éternel recommencement se confrontant à l’impossibilité de reproduire des événements à l’identique (un peu comme l’essence même du polar, qui répète les mêmes trames tout en produisant un récit à chaque fois différent.) d’où le titre du roman, Deux fois dans le même fleuve. Celui-ci fait référence à une citation du philosophe Héraclite : « On ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve. »
Bepolar : On suit les enquêteurs Frédéric Riemann et Asae Hekson. Qui sont-ils ? Comment pourriez-vous nous les présenter ?
Jean-François Kierzkowski : Frédéric Riemann est un gendarme désabusé, au passé sulfureux. Il n’est ni aimable, ni apprécié de ses collègues, mais reste bon enquêteur. Suite à un meurtre sauvage dans sa circonscription, on l’associe à Asae Hekson, une jeune recrue dynamique, volontaire et soucieuse du protocole. La mise en place de ces personnages est typique du genre : on retrouve le duo dépareillé, bad cop/ good cop, deux personnalités qui n’ont rien en commun et qui vont apprendre à se connaître et même s’apprécier. Ce point de départ est volontairement ultra-classique. Il plonge le lecteur dans un schéma narratif familier. Le but est de surprendre davantage lorsque le roman bifurquera vers une voie inattendue. Mais sur ce point, je n’en dévoilerai pas davantage.
Bepolar : On est en Basse-Indre dans un cadre plutôt rural. Qu’est-ce qui vous a donné envie de situer votre intrigue dans cet endroit ? Et comment l’endroit a-t-il influencé votre histoire ?
Jean-François Kierzkowski : J’habite dans la campagne nantaise. Pour mon intrigue, il me fallait un lieu proche de la Loire et en zone semi-rurale. Pour ceux qui connaissent la région, j’avais le choix entre Trentemoult, Basse-Indre, Couëron, Basse-Goulaine… Mon choix s’est arrêté sur Basse-Indre : la commune que je connaissais le mieux. Des amis y habitaient autrefois et je m’y rendais régulièrement. Le choix du cadre d’un roman est souvent conditionné par une bonne connaissance des lieux. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une facilité d’écriture. En écrivant sur un lieu que l’on connaît bien, on parvient davantage à en extraire l’émotion qu’il dégage. J’ai toujours trouvé que Basse-Indre avait un côté à la fois paisible et inquiétant. Pour les lecteurs qui aimeraient découvrir en images les décors qui ont inspiré le roman, des photos sont disponibles sur mes comptes Instagram et Facebook #deuxfoisdanslememefleuve .
Bepolar : Il y a un chat coincé dans une boîte, tel le chat de Schrödinger. Et on évoque le terme "polar quantique" pour votre roman. Pourriez-vous nous expliquer le terme et pourquoi avoir écrit un polar quantique ?
Jean-François Kierzkowski : Le chat, on le retrouve même sur la couverture du roman ! Il n’y a donc pas de mystère : la référence à la physique quantique est clairement annoncée (Le chat de Schrödinger est une expérience célèbre de physique quantique.) Ceci étant dit, je ne revendique pas le terme polar quantique. Si on range mon livre dans cette catégorie (que je ne connaissais pas), c’est sans doute parce qu’il faut rentrer chaque roman dans une case. Le jour où j’écrirai un polar qui se déroule dans le milieu culinaire alsacien, dira-t-on que j’ai écrit un polar choucroute ?
Plus sérieusement, mon roman évoque la physique quantique pour justifier une évolution du récit vers la science-fiction, mais on est loin de la hard-SF. Inutile de posséder un doctorat en physique des particules pour comprendre mon histoire. Par certains aspects, mon polar se rapproche de La Théorie des cordes de José Carlos Somoza (publié chez Acte-Sud en 2007), un roman dans lequel les théories scientifiques servent avant tout une intrigue bien ficelée.
Bepolar : Comment avez-vous construit justement votre roman ? Tout a été bien planifié avant l’écriture ?
Jean-François Kierzkowski : Il m’a fallu trois années pour construire ce roman. La planification de l’intrigue a été un chantier de longue haleine. J’ai travaillé avec des carnets, des schémas et des cartes mentales pour m’y retrouver. Autre problème à résoudre : je ne voulais surtout pas que le lecteur se perde dans la multiplicité de personnages (une trentaine de protagonistes se partagent l’enquête.) J’ai donc énormément travaillé sur le rôle de chacun, leur entrée en scène progressive, leur caractère et même la sonorité de leurs noms pour éviter toute confusion possible.
Bepolar : Le roman vient de sortir. Est-ce que c’est la même émotion à chaque sortie, et que ce soit une BD ou un roman ?
Jean-François Kierzkowski : Qu’il s’agisse d’un roman ou d’une bande dessinée, l’émotion est toujours là. On attend les retours, les réactions, les premières critiques avec la même fébrilité que pour un premier livre.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous, quels sont vos projets ?
Jean-François Kierzkowski : En bande dessinée, j’ai un projet d’album avec le dessinateur Marek (connu entre autres pour ses adaptations en BD d’Agatha Christie). Aucune date de sortie n’est annoncée, car le projet est encore dans son stade de création, à la recherche d’un éditeur.
Côté littérature, en janvier 2023, je sors un court roman aux éditions Mialet-Barrault. Bien loin de l’univers du polar, le livre sera davantage humoristique. Le titre n’est pas défini. Je vous invite à être attentif à cette prochaine sortie.