Colorés et bigarrés, avec leurs personnages tout droit sortis d’un comic book et leur brutalité distendue, les polars de Quentin Tarantino ont vraiment la classe et c’est peu de le souligner. Il faut dire que le cinéphage en série qui palpite en lui puise son style addictif à travers les œuvres d’innombrables poseurs du cinéma policier. Parmi eux, des chantres du cool et orfèvres à la Jean-Pierre Melville (pour "Le Samouraï", 1967), John Woo (pour "The Killer", 1989), Johnnie To (pour "The Big Heat", 1988) et autre Takeshi Kitano (pour "Violent Cop", 1989). Si bien que lorsque le metteur en scène américain dresse le portrait d’un bandit ou de son antagoniste, c’est toujours avec une subtilité impérieuse, parce que le diable se cache dans les détails – pointillistes, ceux-là. Son premier film, Reservoir Dogs (1992), suffira sur ce point à mettre tout le monde d’accord avec à la clé huit mafieux en costard plus plastronneurs et flamboyants les uns que les autres. L’occasion d’imposer un caractère impétueux et indécis aux confins du poétique et du macabre : en témoignent les grand-guignolesques "Kill Bill" (2003) et "Les Huit Salopards" (2015). Une recette rock’n roll qui fera date. De "True Romance" (1993), son film réalisé par un autre, à "Boulevard de la mort" (2007) en passant par "Jackie Brown" (1997), petite visite guidée des polars de Tarantino qui ne disent pas leur nom.
True Romance, 1993
Le cinéma de Tarantino se cache parfois derrière les apparences, comme ici dans "True Romance", un film réalisé par Tony Scott. Ne pas s’y laisser prendre toutefois car cette criminelle histoire d’amour en forme de ballade sauvage furieuse et archi référencée est un pur produit tarantinien.
Après le succès modeste de son Reservoir Dogs (1992), Tarantino file alors déjà contre toute attente une idylle quasi parfaite avec Hollywood. La suite de son aventure, tout le monde la connaît ou presque : d’entrée de jeu, elle lui vaudra rien de moins qu’une Palme d’or. Mais avant cela, il convient de s’arrêter sur deux polars délirants qu’aurait dû mettre en scène en personne l’intéressé : "True Romance" (Tony Scott, 1993), qu’il a précédemment scénarisé avec Roger Avary, et "Tueurs nés" (Oliver Stone, 1994) dont il a écrit le scénario avant de le céder pour seulement 10 000 dollars. Or, si Tarantino n’acceptera d’être crédité qu’en temps qu’auteur de l’histoire originale de "Tueurs nés" compte tenu des modifications de script effectuées par Stone, son empreinte sur le film persiste dans les dialogues. Un effet « marque de fabrique » qui s’avère encore plus flagrant avec "True Romance", dont le scénario initial n’a subi que de très légers changements de la part de Tony Scott. Résultat, le long-métrage ressemble à s’y méprendre à un authentique film de Tarantino, si ce n’est que la réalisation a été confiée au papa de Top Gun (1986).
D’une efficacité redoutable, l’histoire tient sur un ticket de bus : le soir de son anniversaire, un vendeur de disques du nom de Clarence (Christian Slater) rencontre la pulpeuse Alabama (Patricia Arquette), call-girl dont il s’entiche instantanément. C’est bientôt l’amour fou et le couple décide de se marier au plus vite. Mais sur un malentendu, Clarence se retrouve en possession d’une valise contenant plusieurs kilos de cocaïne, avec bien entendu moult gangsters à ses trousses. Malpoli et joyeusement irrévérencieux, "True Romance" se démarque grâce à une écriture au cordeau et à laquelle se soumet Tony Scott en bon élève. C’est simple : le réalisateur de l’entêtant "Les Prédateurs" (1983) a rarement aussi bien filmé qu’en suivant le canevas préparé par Tarantino. Ici, l’humour est noir et les couleurs chatoyantes à la "Sailor & Lula" (Lynch, 1990). Aussi, la chose fantasmatique de "True Romance" pour tout cinéphile, c’est qu’il propulse deux protagonistes a priori sans envergure (quoique sexy, certes) dans une histoire totalement rocambolesque et peuplée d’archétypes du polar (du reste interprétés par quelques cadors : Dennis Hopper, Val Kilmer, Christopher Walken, Gary Oldman…). Eux-mêmes cinéphiles, les deux héros passionnés (qui visionnent notamment "Le Syndicat du crime 2" de John Woo de 1987) ont en quelque sorte la joie d’incarner des personnages de film dans une intrigue à l’avenant. La mise en abyme est de fait géniale et réjouissante pour le spectateur.