Avec sa combinaison jaune comme la tenue du Bruce Lee du "Jeu de la mort" (Bruce Lee & Robert Clouse, 1978), « la Mariée » est bien décidée à venger son destin baigné de sang. Ça se passe dans "Kill Bill", film noir assez unique en son genre car vouant un culte aux arts martiaux et jeux de couteau.
Bon d’accord, le plan fixe en noir et blanc inaugurant"Kill Bill"se veut résolument un modèle de violence (insoutenable). De « la Mariée » - l’héroïne vengeresse du film –, on ne perçoit en gros plan que le visage bouffi de douleur et ensanglanté. Hors-champ, un homme s’avance lentement et la caméra se contente de cadrer ses santiags puis sa main venant essuyer quelques gouttes de sang.
À la respiration saccadée de la jeune femme, se superpose bientôt la voix caverneuse et paradoxalement paternelle de ce monstre nommé Bill – son prénom est écrit sur le mouchoir immaculé qu’il introduit dans le cadre. Sans rancune, semble dire en substance ce chef de gang flegmatique avant de lui loger une balle dans la tête, et ce, dans la seconde où elle lui annonce porter son enfant. « La vengeance est un plat qui se mange froid », avait prévenu une minute plus tôt le carton introductif.
Avant de prendre sa revanche, il faudra à « la Mariée » - géniale Uma Thurman qui décidément n’aura jamais autant brillé que chez Tarantino – bien de la patience, d’abord parce qu’une renaissance s’impose. Au sortir de son coma, « la Mariée » va ainsi redevenir celle qu’elle fût : une tueuse impitoyable connue sous le nom de Black Mamba.
Avec "Kill Bill", Quentin Tarantino s’autorise un des passages au shaker les plus composites de sa carrière. Si la violence apparaît frontalement, c’est pour mieux incarner la rédemption et la révolte de son héroïne (allégorisées par le passage systématique du noir & blanc à la couleur). À cet effet, le film noir, dont le point de non-retour est déjà atteint dès les premières secondes, se mélange avec emphase au western spaghetti, aux films de kung-fu, aux mangas animés, au cinéma de Truffaut ("La mariée était en noir") et même aux films d’horreur.
Le réalisateur américain épuise certes la noirceur absolue de ces genres à des fins dramatiques et de mise en scène, mais aucunement en pure perte : brusquement, "Kill Bill" laisse même entrevoir un retour à la vie plus optimiste pour sa protagoniste centrale. Derrière l’espoir meurtri, perce du lyrisme et une reconstruction possible. C’est tout le sens de la scène de combat contre « Vipère cuivrée », où l’on voit Black Mamba respecter la vie de famille et se mettre à la hauteur de la petite fille de son ennemi, jusqu’à légitimer le futur ressentiment de l’orpheline.
Ce long chemin pour s’extirper de la violence et retrouver son humanité à la nuit tombée (la scène sous la neige dans le jardin japonais) synthétise probablement tout "Kill Bill". Mention spéciale du reste pour cette propension géniale qu’a toujours Tarantino à ressusciter des acteurs oubliés ou relégués au second rang, tels ici David Carradine et Gordon Liu.