Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ? On pense tout de suite à la tuerie de Chevaline. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce terrible faits divers ?

Christophe Ferré : Mes polars s’inspirent de crimes non élucidés (les fameux cold cases) qui fascinent et horrifient l’opinion publique. Rappelons ce qu’est la tuerie de Chevaline : dans les Alpes, en septembre 2012, une famille anglaise et un cycliste savoyard ont été criblés de balles en pleine nature. Qui était visé et pourquoi ? Malgré une enquête de très grande ampleur, on n’a toujours aucune réponse. Bouleversé par ce massacre, j’en ai discuté avec des amis qui habitent cette région où je fais souvent de la randonnée. Dix ans plus tard, hanté par cette affaire, je publie mon polar.

Bepolar : Quelles distances avez-vous pris justement avec cette tuerie ?

Christophe Ferré : Les Amants du Mont-Blanc est une fiction. Si je m’inspire de Chevaline, mes personnages sont imaginaires : deux couples ne se connaissant pas sont tués sur un parking dans une forêt au pied du Mont-Blanc. La scène de crime n’est pas exactement la même qu’à Chevaline, mais il existe une troublante similitude. Quant au dénouement de mon livre, il est pour moi l’explication la plus vraisemblable au massacre de 2012. Une explication qui n’a jamais été évoquée par personne… Les enquêteurs travaillent-ils sur cette hypothèse ? Il faudrait le leur demander…

Bepolar : Il reste de nombreuses zones d’ombre dans ce dossier. Comment vous êtes-vous documenté ?

Christophe Ferré : J’ai lu de très nombreux articles et regardé plusieurs documentaires consacrés au sujet, mais j’ai surtout questionné des personnes s’intéressant de très près à l’affaire, je ne vais pas les nommer…

Bepolar : On y suit l’enquête de Léa, une journaliste. Qui est-elle ? Comment pourriez-vous nous la présenter ? Et pourquoi une journaliste plutôt qu’une policière ou une gendarme ?

Christophe Ferré : Dans la plupart des polars, un membre de la police ou de la gendarmerie mène l’enquête. Dans le mien, c’est effectivement une journaliste qui tente de résoudre l’affaire : Léa est libre d’agir comme bon lui semble, en dehors de toute procédure officielle, c’est pourquoi elle agace. Elle a ses propres méthodes d’investigation et souvent une longueur d’avance sur l’enquête officielle. Ce polar casse et renouvelle les codes du genre.

Bepolar : On est dans les montagnes, dans le secteur de Chamonix. Est-ce que le lieu, les paysages, impose des choses au récit ?

Christophe Ferré : Je suis un passionné de randonnées et j’adore le massif du Mont-Blanc. Pour moi, certains lieux (Chamonix, le lac Blanc, le glacier des Bossons, la mer de Glace…) participent de manière intime à l’histoire. Certains de mes lecteurs et lectrices, alpinistes ou non, ont été très sensibles à l’ambiance de mystère se dégageant de certains paysages coiffés de neiges éternelles.

Bepolar : On dévore avec plaisir les méandres de l’intrigue. Comment avez-vous construit votre récit ?

Christophe Ferré : Pour moi, la reine du polar, c’est Agatha Christie. Elle multiplie les pistes à l’infini. Comme elle, je prends plaisir à égarer le lecteur : les hypothèses se multiplient mais aucune ne permet de résoudre le mystère, comme après la tuerie de Chevaline. Dans mon roman, les deux couples assassinés semblent avoir des ennemis, mais personne n’est arrêté. La plupart de mes lecteurs ont été stupéfaits par le dénouement auquel ils ne s’attendaient pas.

Bepolar : Le roman est paru il y a quelques semaines. Comment vivez-vous ce moment où il est dans les mains des lecteurs et lectrices ?

Christophe Ferré : Un auteur est toujours impatient de savoir comment va réagir le public. Le plus stupéfiant pour moi : chaque lecteur vit une expérience différente. Certains s’identifient à l’héroïne, d’autres absolument pas. Certains sont fascinés par l’intrigue quand d’autres se sentent paumés (voire déstabilisés), etc. Il y a autant de lectures que de lecteurs, chacun a sa propre opinion. Il n’existe pas deux avis identiques, et c’est tant mieux.

Bepolar : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?

Christophe Ferré : Fin décembre 2022, je publie chez France Loisirs un nouveau polar inspiré lui aussi d’un troublant fait divers : La Disparue de Belle-Ile. En 1978, une jeune et jolie pharmacienne s’est évaporée à jamais avec sa voiture à l’issue d’une soirée chez des amis. On n’a retrouvé aucune trace d’elle ni de son véhicule. Elle n’a pas été enregistrée sur le bac reliant l’île au continent mais le plus étrange est qu’il n’existe aucun suspect, aucune piste… C’est le cold case absolu. Dans mon livre, je tente de percer le mystère de cette femme ensevelie par la nuit.