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L’interrogatoire de Thierry Crouzet

Bepolar : C’est un livre un peu à part que vous nous proposez. Comment est née l’idée de ce récit ?
Thierry Crouzet : J’ai toujours su que mon père avait été un sniper durant la guerre d’Algérie, mais je ne connaissais pas les détails jusqu’à ce qu’en 2010 il me demande de mettre au propre une vingtaine de pages manuscrites où il racontait son enfance et sa guerre, comment il était devenu chasseur, puis tueur. J’ai tout de suite senti la dimension romanesque de cette histoire, mais il se serait agi d’un énième livre de guerre. Puis quelque chose de plus profond me bloquait, la peur que m’avait toujours inspirée mon père. Je ne pouvais pas parler de lui tant qu’il était vivant. C’était au-delà de mes forces. À sa mort en 2014, il m’a laissé une lettre et j’ai pas eu le courage de l’ouvrir, encore terrorisé à l’idée de ce qu’il avait à me dire. Au bout de trois ans, je ne pouvais plus vivre avec cette lettre cachetée. Je me suis dit que je devais tenter de comprendre de mon père, établir avec lui une relation que je n’avais jamais eue de son vivant, pour enfin ouvrir cette lettre sans crainte.

Bepolar : Pourquoi en avoir fait un roman et pas simplement une sorte de
biographie familiale ? Et qu’est-ce qui vous a donné envie ensuite de
le proposer aux lecteurs ? Vous auriez pu le garder pour vous…

Thierry Crouzet : J’ai commencé à écrire pour moi, comme une thérapie narrative, c’était une affaire entre lui et moi, une enquête sur l’origine de la violence. Assez vite, je me suis retrouvé devant des trous dans cette histoire. J’ai dû lire des bouquins sur la guerre d’Algérie, retrouver des témoignages d’autres appelés. En comparant la chronologie des faits notés par mon père, j’en ai déduit qu’il n’avait pu qu’être à tel ou tel endroit, ou très proche. Par exemple, lors de l’attentat du Milk Bar à Alger. Pour comprendre ce qu’il avait pu ressentir, je me suis imaginé à sa place et je suis entré dans le romanesque. Quand il écrit «  J’avais plus d’argent que les autres et j’avais beaucoup des copines.  », je me suis senti obligé d’imaginer ce que ça impliquait. De toute façon, même si mon père m’avait raconté beaucoup plus de choses de son vivant, j’aurais basculé dans le romanesque. Raconter, c’est ordonner les faits, en mettre en avant, en occulter d’autre, aucun récit n’échappe au romanesque, autant l’accepter. Michon a écrit : « Écrire des vies, c’est inventer l’existence de gens qui ont existé pourtant, qui ont eu un état civil, c’est redoubler l’illusion réaliste, l’effet de réel.  » Pour faire réel, il faut parfois inventer. Pour comprendre mon père, j’ai dû inventer pour créer une continuité de sa vie me permettant d’entrer en lui. Quand j’ai terminé le premier jet, je l’ai fait lire à ma femme. Elle a été bouleversée, parce qu’elle apprenait des choses sur moi et mon père dont elle ignorait tout. Je me suis alors dit que ce texte servirait peut-être à mes fils, pour qu’ils sachent qui était leur grand-père et aussi qui je suis. C’était encore un texte pour nous jusqu’à ce que plusieurs amis me disent qu’il avait un caractère universel, que chacun pouvait y retrouver une partie de son histoire.

Bepolar : On l’imagine difficile à écrire, très intime. Qu’en a-t-il été ?
Thierry Crouzet : Je ne voulais pas régler mes comptes avec mon père, c’était le plus difficile. L’accuser, lui faire porter de chapeau de mes défauts aurait été trop facile. Je voulais comprendre et pour ça j’ai dû faire remonter des souvenirs occultés, comme cette histoire de chaise avec laquelle toutes les nuits je bloquais la porte de ma chambre de peur que mon père vienne me tuer. Peu à peu, ces évènements ont pris sens, j’ai réussi à les lier par une causalité, j’ai fini par souffrir avec mon père. Plus j’avançais, plus j’étais proche de lui et plus j’étais heureux.

Bepolar : Quelle est votre vision sur cette guerre d’Algérie dont on ne parle finalement qu’assez peu, et des hommes qui en sont revenus ?
Thierry Crouzet : Une guerre absurde comme toutes les guerres. C’était inutile, perdu d’avance, contre le sens de l’histoire. Penser que Mitterrand, un des principaux acteurs politiques de cette affaire, soit en suite devenu Président est assez flippant. Ça en dit beaucoup sur nos hommes politiques, sur leur barbarie quand la raison d’État se saisit d’eux. Sur l’Algérie, nous n’avons pas effectué le travail des Américains sur le Viêt Nam. Nous avons abandonné les appelés à leur retour en France. Comme mon père, la plupart étaient traumatisés. Aujourd’hui nous sommes les enfants ou les petits enfants de ces hommes et nous payons encore les pots cassés.

Bepolar : Maintenant que ce livre est terminé, êtes-vous apaisé ?
Thierry Crouzet : Apaisé par rapport à mon père, oui, j’ai appris à vivre avec lui, il était temps, mais je suis plus que jamais révolté contre les va-t-en- guerre.

Bepolar : Quand pourrons-nous vous voir en dédicace ?
Thierry Crouzet : Je me suis fracturé le col du fémur fin août, gamelle à VTT, et j’ai dû annuler toutes mes sorties jusqu’à Un Aller-Retour dans le noir, à Pau début octobre. Après je vais tourner, je serai notamment à la Foire du livre de Brive début novembre.

Bepolar : Avez-vous déjà entamé un nouveau roman ?
Thierry Crouzet : J’écris tout le temps, en ce moment un livre qui n’est pas romanesque, mais le prochain roman est là, je le sais, il sera inspiré d’une histoire vraie, magnifique et terrible.

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