- Réalisateur : Byun Sung-hyun
- Acteurs : Esom , Jeon Do-yeon
Le réalisateur de "Kill Bok-soon" adore Tarantino et ne peut s’empêcher de le convoquer dans chacun de ses films (ou presque). Mais son petit dernier ne souffre-t-il pas plus qu’autre chose en se mesurant à un modèle aussi virtuose – ici la saga vengeresse de Beatrix Kiddo ?
Kill Bok-Soon : réussi ou pas, cet ersatz de Kill Bill ?
De : Byun Sung-hyun
Avec : Jeon Do-Yeon, Esom, Koo Kyo-hwan
Genre : action, thriller
Année : 2023
Pays : Corée du Sud
Difficile pour Gil Boksoon de trouver l’équilibre. Côté vie professionnelle, elle incarne une tueuse à gages émérite et presque invincible. Côté boulot, elle se débat dans son existence de mère célibataire déboussolée. Et si assassiner s’avère pour elle une simple formalité, élever sa fille adolescente est une tout autre histoire…
Projeté en avant-première lors de la Berlinale 2023, "Kill Bok-soon" ne cache pas sa révérence au cinéma de Quentin Tarantino et c’est peu de le dire. "Sans Pitié", le précédent film de son réalisateur Byung Sung-hyun lorgnait déjà sévèrement de ce côté, singeant par la même occasion les poses des cinéastes Johnnie To et Martin Scorsese. Cette fois, le titre lui-même renvoie bien évidemment à "Kill Bill" (Tarantino, 2003). Dommage d’ailleurs que Sung-hyun n’opte pas pour des clins d’œil moins tonitruants, car son film se prête de fait d’autant plus à la comparaison – exercice des plus risqués. De la saga pétulante de Quentin Tarantino, on retrouve une héroïne passée maître dans le maniement des armes blanches - mais également ici à feu. Une exigence pour elle, Boksoon, puisque son métier consiste à assassiner des cibles pour une entreprise spécialisée, nommée MK. Point cependant de récit de vengeance à la clé cette fois, mais plutôt une prise de conscience des affres du temps pour la protagoniste. Et pour cause : non contente désormais d’être la mère d’une adolescente, Boksoon voit dans le même temps sa dextérité et son infaillibilité la trahir. Les affrontements deviennent ainsi pour elle peu à peu plus difficiles, et tous les autres tueurs à gages concurrents n’attendent qu’un seul faux pas pour occuper à leur tour la place du favori. Sous cet angle, "Kill Bok-soon" dispose donc d’une originalité l’autorisant à s’affranchir (un peu) de "Kill Bill" : le film introduit l’idée de défaillance et illustre la culpabilité d’une mère contrainte de mentir à sa fille. Le long-métrage alterne d’ailleurs entre les deux sphères : d’un côté les mises à mort brutales et leurs préparations, de l’autre l’envers familial et paisible du massacre.
Seulement, "Kill Bok-soon" apparaît très vite rattrapé par ses citations. Et même en considérant l’autre singularité du film, à savoir la dynamique dystopique avec une Corée du sud dont certaines grandes entreprises se disputent un business reposant sur le meurtre, la mise à distance ne suffit pas à faire oublier les emprunts. Il faut dire que le long-métrage ne bénéficie pas d’une mise en scène aussi recherchée que ses modèles. En opposant la sensibilité de la vie intime à l’effervescence détonante de la vie professionnelle, il semblait pour acquis que Byung Sung-hyun privilégierait le déchaînement et l’impétuosité. Sauf qu’il n’en est rien, ou presque. Si les scènes d’action ne manquent pas ici et là de mordant ou d’inventivité (principalement lié à la représentation alternative d’une action – par exemple lorsque le sang s’apprête à couler), l’ensemble reste beaucoup trop raisonnable et réservé pour éblouir. Où se trouvent les fulgurances, les ruptures de ton, les dissonances formelles, bref toute cette hybridation flamboyante qui constituait l’essence (quasi immorale) de "Kill Bill" ? Autant d’outils délirants qui permettait à Tarantino de déconstruire et de réinventer les films d’arts martiaux hongkongais ou encore le chanbara japonais. Quelques ralentis et décadrages valent peut-être ici à la rigueur le détour – même si les effets se révèlent un peu grossiers –, mais cela ne va pas vraiment plus loin. D’autant qu’aucune musique marquante ne vient enrichir l’expérience – la pauvreté abyssale de la bande originale parle d’elle-même, sans parler des compositions infiniment plates signées Lee Jin-hee et Kim Hong-jip.
Alors en guise de circonstance atténuante, il convient peut-être de souligner les quelques fortunes de "Kill Bok-soon". L’écriture ne démérite pas – la chose est surtout vraie concernant la manière d’opposer et de relier les sphères domestiques et professionnelles. Mais plus spécialement, c’est au niveau de son casting que le film se distingue. Habile pour cristalliser l’arrogance et l’adversité côté combat, l’actrice Jeon Do-yeon (Gil Boksoon) brille aussi pour traduire le doute et la peur auprès de sa fille révoltée. Une ambiguïté bienvenue, qui émerge et étoffe aussi le récit au gré d’interprètes tels que Sol Kyung-Gu et Kim Si-A. Reste que ces quelques qualités ne suffisent pas à faire de "Kill Bok-soon" autre chose qu’une pâle resucée de "Kill Bill", dont ne serait-ce qu’une une seule scène (par exemple lors du combat liminaire contre Vernita Green) capturait avec brio tout le paradoxe d’être une mère criminelle. Stratégie marketing s’il en est, ce rapprochement semble infécond sinon contre-productif pour "Kill Bok-soon", lequel aurait probablement beaucoup moins vacillé dans d’autres circonstances.
"Kill Bok-soon" est disponible sur Netflix depuis le 31 mars 2023.