Quelques mois après avoir commandité les assassinats des juges antimafieux Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, c’est un petit homme obséquieux qui, flanqué des carabiniers italiens, s’adresse au président du tribunal, en se décrivant comme un agriculteur honnête, dont l’aversion pour la drogue n’a d’égale que son absence de participation à tout trafic. On se pincerait presque pour croire que l’accusé volubile et urbain est un des pires criminels de Cosa Nostra et qu’il a fait régner la terreur en Sicile pendant plusieurs décennies.

Le documentaire Corleone, le parrain des parrains revient sur le parcours de Salvatore Riina et, à travers lui, sur l’implantation de la Mafia en Sicile. Des criminels repentis témoignent masqués, des juges, des avocats, des procureurs analysent le fonctionnement de l’organisation criminelle, véritable État dans l’État, qui a érigé les "codes d’honneur" en principes quasiment vertueux. Mais cette fausse morale ne résiste pas à l’ambition démesurée de ses membres, prêts à s’entretuer pour davantage de pouvoirs. Dans la Mafia, chaque collaborateur est un futur ennemi potentiel et la fidélité ne saurait être un credo qui résiste aux circonstances. Riina fait partie de ces sociopathes manipulateurs pour qui la parole ne vaut rien. Son ascension dans la hiérarchie de l’organisation parle pour lui. Elle est jonchée de cadavres à partir des années 50.

Le film revient aussi, dans une perspective chronologique, sur une inflexion des méthodes de Cosa Nostra, plus violentes à mesure que le gouvernement lui fait la guerre. Au mitan des années 70, les assassinats se multiplient, des représentants de l’État sont tués, des journalistes d’investigation paient le prix de leur curiosité. Et une séquence dit bien le poids de l’omertà : interrogés sur les événements sanglants qui endeuillent l’île, les habitants ne formulent que des réponses évasives. Chacun sait ce qu’il en coûte de trop parler.

Bref, c’est un engrenage qui se met en place et Riina ne subsiste bientôt que par la terreur, multiplie les attentats à la voiture piégée, ce qui annonce sa fébrilité et bientôt sa chute. Car, bien décidé à en finir avec le tueur sanguinaire, ainsi que ses sicaires dont les propos font encore aujourd’hui froid dans le dos, le gouvernement italien finit par mettre la main sur le chef, après avoir procédé à de multiples arrestations quelques années auparavant et organisé un Maxi-Procès à partir de février 1986, qui jugera 475 accusés liés aux activités criminelles de la Mafia, grâce notamment aux confessions d’un tueur repenti, Tommaso Buscetta. La justice condamnera lourdement les prévenus, à la hauteur des brutalités commises. La confirmation des sentences exécutées signera un arrêt de mort pour Falcone et Borsellino, victimes de la fureur de Riina.

C’est finalement le "massacre de Capaci" qui exaspère les Palermitains. Les habitants décident de briser la loi du silence pour interrompre le cycle de la violence. Les regrets des criminels repentis achèvent de précipiter la chute d’un chef qu’ils ont suivi aveuglément, comme n’importe quel prosélyte pris dans les mailles d’un fonctionnement terroriste. Le documentaire en explore les fondements, avec une précision chirurgicale. S’est-on débarrassé de Cosa Nostra ? La conclusion du film laisse perplexe : loin d’être anéantie, l’organisation criminelle semble plutôt dans un état de convalescence.