Bepolar : Une église pour les oiseaux vient de ressortir. Est-ce que vous pouvez nous dire comment est née ce roman ?
Maureen Martineau : Le roman Une église pour les oiseaux a été écrit suite à une invitation de la maison d’édition Héliotrope qui voulait débuter une série noire qui, selon ses mots, « propose de tracer, livre après livre, une carte inédite du territoire québécois, dans laquelle le crime se fait arpenteur-géomètre. »
La consigne était d’inscrire l’intrigue dans une ville ou un village du Québec. J’ai vite réalisé que la notion de territoire ne pouvait se résumer qu’à un lieu. Il s’exprime avant tout par la culture régionale des gens qui l’habitent. J’ai donc décidé de créer mes personnages en puisant à même l’histoire criminelle de ma propre région, le Centre-du-Québec. J’ai bâti mon récit en m’inspirant des deux crimes les plus sordides commis dans les quinze dernières années à moins de 20 km de chez moi : un citoyen mécontent qui avait mis le feu au bureau municipal après y avoir séquestré la directrice générale, et une escorte et son chum qui avaient tué et décapité un client. En mixant les histoires, j’ai réussi à empêcher le citoyen de commettre l’irréparable, puisque dans mon récit il est devenu la victime du couple meurtrier.
La décision de faire porter la narration par l’escorte Jessica Acteau s’est rapidement imposée. Dans mes recherches sur le procès de la femme qui a inspiré ce personnage, j’ai été bouleversée d’apprendre que la jeune criminelle de 27 ans venait de reprendre ses études et se destinait à un projet d’aide humanitaire en Amérique centrale. Sa vie a basculé en quelques mois suite à une mauvaise rencontre. Je me suis sentie interpellée par ce type d’individu que rien de prime abord ne destine au crime, laissant planer que dans certaines circonstances nous pourrions tous franchir la mince ligne. Comme le confie Jessica : « Le meurtre, faut pas toucher à ça … Tuer est le plus tranchant des couteaux. Il te coupe de ta propre espèce. »
Bepolar : Dans votre récit, on est en pleine pandémie, avec une contamination qui touche les oiseaux comme les humains. Pourquoi ce sujet vous intéressait ? Et avec le recul et la pandémie de la Covid, quel regard portez-vous sur l’histoire que vous aviez imaginée ?
Maureen Martineau : Je souhaitais « polluer » l’air pur de ce magnifique village en montagne qu’est Ham-Sud rectifiant la vision souvent bucolique qu’on peut entretenir de nos campagnes. Les champs et les pépinières sont les hôtes de dangereux pesticides. Ici, une occulte compagnie va faire d’une sapinière le lieu d’expérimentation de son nouveau produit, rendant l’atmosphère trop toxique pour que les martinets ramoneurs entreprennent leur voyage vers le Sud. Je trouvais intéressant que l’air vicié atteigne aussi les humains, attisant leurs pulsions. Le proxénète Dave, qui ne supporte pas les maux de tête, ne s’en serait peut-être pas pris avec autant de violence à sa victime s’il n’avait pas été en proie à une si forte migraine. La contamination de l’air est le contexte dans lequel le drame va se dérouler, un genre de tremblement du ciel qui fait écho au crime sordide sur le point de s’accomplir, un empoisonnement de l’âme des personnages. Aujourd’hui, avec la Covid, nous réalisons à quel point un tel contexte parvient à désorienter nos vies.
Bepolar : On suit la mairesse de la ville, Roxanne Pépin. Comment la voyez-vous ? Comment pourriez-vous nous la présenter ?
Maureen Martineau : Roxanne Pépin n’aime pas être mairesse, elle l’est par défaut parce qu’elle s’ennuie comme jeune retraitée et qu’elle veut bien se rendre utile. C’est le personnage le plus solide du roman, celui qui au milieu de la tourmente tente de garder le cap, de gérer la crise écologique que sa petite municipalité traverse, qui tente de démasquer les fraudes de l’ancien conseil municipal. C’est aussi la mère dépassée par les délires de son fils schizophrène qui accourt auprès lui le jour comme la nuit, pour le calmer. Cette héroïne malgré elle, ne saura jamais qu’Hermann Fiesh s’apprêtait à la faire flamber. Tout ça parce qu’elle lui a refusé le permis pour son mini-zoo. Contrairement au crime dont cette histoire s’inspire, Roxanne sera sauvée in extrémis parce que la fiction me permet de réinterpréter les faits, d’offrir un autre dénouement au pire des drames. Une façon de réparer le réel.
Bepolar : C’est tout le village qui semble sur le fil du rasoir. Vous aviez envie d’une sorte de tension générale ?
Maureen Martineau : Contrairement à un polar d’enquête où le lecteur suit le personnage du détective, le roman noir nous fait chausser les bottes du criminel. Il nous entraine dans les aspects sombres de sa psyché, nous oblige à l’accompagner dans la perpétration de son crime. D’où la tension et la noirceur du récit. Et dans ce cas-ci, l’isolement des villages de Ham-Sud et Ham-Nord, où tous se connaissent et se croisent, ajoute au suspense, tout comme le fait que le couple Jessica/Dave habite dans l’appartement mal insonorisé juste au-dessus du logis de Louis-Étienne, le fils de mairesse. Celui-ci est réellement témoin du meurtre en cours, alors que sa mère le croit en psychose. Le désastre écologique occupe toute l’attention de Roxanne Pépin, la seule qui aurait pu alerter à temps les policiers pour empêcher Hermann Fiesch de se faire décapiter. Les intrigues multiples s’entremêlent, se répondent, se complètent pour se fondre dans une fin inévitable.
Bepolar : C’est un roman assez court, assez nerveux. Comment l’avez-vous écrit ?
Maureen Martineau : Le format court était également une consigne de la série Héliotrope noire. Mais mon précédé d’écriture est demeuré le même que pour les romans plus volumineux de ma série des enquêtes de Judith Allison. Je suis une fanatique des plans très élaborés qui j’aime défaire et refaire à mesure que j’écris. Les formes narratives se sont apparues très tôt dans le processus. Une partie de l’intrigue nous est livrée par l’action qui se déroule au temps présent. D’autres moments sont révélés par le témoignage de Jessica détenue en prison qui se confie à une codétenue 4 jours après les faits. Et enfin, certains segments de l’histoire nous sont racontés par les yeux des martinets ramoneurs coincés dans le clocher de la vieille église que Hermann rêve de transformer en zoo. Cette vision « à vol d’oiseau » des drames en cours permet à la fois une vue d’ensemble et un nécessaire recul à l’horreur humaine.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ? Quels sont vos projets ?
Maureen Martineau : Je viens de terminer les corrections de Les enfants de Godmann, la 5e enquête de la détective Judith Allison qui paraitra à la mi-septembre chez VLB Éditeur. Il y sera question d’un nursing crime propre aux criminels issus du personnel soignant qui s’approprient le pouvoir de vie et de mort sur leurs patients. L’histoire se déroule en février 2020 alors que personne ne soupçonne l’ampleur de la pandémie sur le point d’éclater. Avec son manque de personnel, le système de santé québécois est déjà très mal en point, rendant défaillante la surveillance des actes médicaux. L’enquête sur la mort du Dr Victor Godmann conduira Judith Allison jusqu’en Alberta, où malgré les embûches, elle s’entêtera à fouiller le lourd passé de la petite ville de Red Deer.