- Réalisateur : Scott Cooper
- Acteurs : Christian Bale, Harry Melling, Timothy Spall, Gillian Anderson
- Auteur : Louis Bayard
Malgré une atmosphère et une enquête un temps captivantes, "The Pale Blue Eye" ne convainc pas totalement. Mais ses imperfections s’avèrent-elles rédhibitoires ? Pas toujours…
En 1830, un inspecteur retraité, veuf taciturne nommé Augustus Landor, est engagé pour enquêter sur un potentiel meurtre perpétré à l’Académie militaire de West Point. Un jeune cadet de l’académie le seconde bientôt. Son nom : Edgar Allan Poe.
Le regard s’accoutume dès les premières secondes à l’univers opaque et brumeux de "The Pale Blue Eye". Comme si son territoire, ses personnages et son rythme nous étaient familiers depuis déjà bien avant les présentations. Le caractère un brin conformiste ou conventionnel de la mise en scène permet-il à lui seul d’expliquer cette impression de déjà-vu qui surnage ? Pas seulement, car s’immisce bel et bien autre chose à travers l’entrelacement des plans. Il suffit d’ailleurs de tendre l’oreille pour le comprendre : les mélodies semblent tout droit sorties du "Silence des Agneaux", de "Seven", voire de "Panic Room". À tel point que l’on jurerait donc entendre Howard Shore. Et pour cause : un bref coup d’œil sur les crédits du film le confirme. C’est bien le compositeur canadien phare des grands thrillers nineties et autres films de Cronenberg qui figure aux manettes de "The Pale Blue Eye". Or, cette présence lancinante du musicien en surimpression, dont les partitions étouffantes créent une ambiance étouffante et fatalement sombre, ne paraît vraiment pas tenir du hasard.
Car quoique dans une veine moins ténébreuse et trash que "Le Silence des Agneaux" ou "Seven", "The Pale Blue Eye" récite clairement en creux l’une des recettes les plus typiques et codifiées des thrillers mêlant épouvante et trame policière. Loin de disparaître tout à fait après l’âge d’or (années 90 – début 2000) du dispositif, ce concept apprécié par les spectateurs avait fini par s’étioler, et même perdre toute consistance à force de redites. Or, le fait d’en reprendre l’essence quelque part au creux de la vague, tactique payante, confère par conséquent à "The Pale Blue Eye" un capital nostalgie – qu’il soit inconscient ou pas – non négligeable. D’autant que ce film de Scott Cooper (réalisateur "Crazy Heart", "Hostiles"…) bénéficie dans l’ensemble d’une réalisation et d’une photographie plutôt soignées. Résultat, la méthode gagnante déployée par "The Pale Blue Eye" s’avère assez convaincante. Il faut dire que la musique résolument lugubre signée Howard Shore, parfaite illustration des autopsies macabres et autres doutes existentiels des protagonistes, y contribue. Même sentiment au regard des jeux souvent impeccables de Christian Bale et Harry Melling, deux détectives aux antipodes et complémentaires. Sans compter des seconds rôles tous plus mémorables et fastueux les uns que les autres : Gillian Anderson, Robert Duvall, Charlotte Gainsbourg, Toby Jones, ou encore l’immense Timothy Spall.
Sauf qu’aussi grisant (sans génie, néanmoins) apparaisse "The Pale Blue Eye" dans sa première moitié, le long-métrage échoue finalement dans sa seconde à exalter les ingrédients disséminés jusqu’alors. Pire : son écriture in fine aussi lapidaire que lacunaire ne permet pas de boucler décemment de nombreuses trajectoires initiées. Cette fragilité du scénario se révèle d’autant plus regrettable que l’atmosphère étudiée et minutieuse du film, de même que son enquête prenante dans les premiers temps, auguraient un final autrement plus abouti et substantiel. "The Pale Blue Eye" a beau ainsi tenter, afin d’échapper à l’ordinaire, de glisser un twist en dernier recours – la mise en abyme façon tiroir. Mais ce prétendu coup de théâtre reste insuffisant pour combler les attentes et redresser la barre. Ce qui ne rend toutefois pas le film obsolète ou calamiteux, loin de là. Cependant, "The Pale Blue Eye", après avoir fait preuve par-delà son maniérisme et son mimétisme de quelques éclats, tombe en définitive dans la banalité. Même la référence latente à "Sleepy Hollow", autre enquête sépulcrale que Tim Burton – fidèle à ses obsessions – imprégnait déjà du souffle poético-sinistre d’Edgar Allan Poe, ne suffit pas. Et pourtant, le film de Cooper n’hésite pas à piller abondamment l’investigation d’Ichabod Crane – jusque dans la topographie et les lieux où se tiennent les péripéties.
Mais comme les œuvres cinématographiques convenables incorporant le polar psychologique à l’horreur se font rares, "The Pale Blue Eye" demeure pour les aficionados un divertissement acceptable, et dès lors difficile à contourner. Mention spéciale pour sa poésie occulte, laquelle, même sans finesse ou sophistication notable en matière de mise en scène, se distingue quelquefois grâce à l’intensité du jeu d’Harry Melling ("The Lost City of Z", "Le Jeu de la Dame"…) – acteur de plus en plus crédible et troublant.
Adapté du livre éponyme écrit par Louis Bayard, "The Pale Blue Eye" – dont le titre est tiré d’un poème d’Edgar Allan Poe – est disponible sur Netflix.