- Acteurs : Gaia Girace, Valentina Bellè
Sorte de huis-clos croisé, "The Good Mothers" sonde la solitude et l’enfermement des femmes soumises au machisme infernal de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise. Une peinture révulsante, parfois un brin redondante, mais surtout saisissante à la manière du cinéma de Rodrigo Sorogoyen.
The Good Mothers
De : Julian Jarrold, Elisa Amoruso
Avec : Gaia Girace, Valentina Bellè, Barbara Chichiarelli, Francesco Colella
Genre : policier, drame
Année : 2023
Pays : Italie, Grande-Bretagne
Anna Colace, jeune procureure, se voit confier une mission extrêmement délicate et risquée : parvenir à mettre les membres de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, derrière les barreaux. À cet effet, elle cherche à retourner les femmes et filles des gangsters, sans cesse opprimées, humiliées et harcelées, contre eux. En parallèle, la série suit la trajectoire de trois femmes piégées et aux prises de la mafia, parmi lesquelles Denise, fille de l’impitoyable baron de la drogue Carlo Cosco. Des femmes sur le point, peut-être, de briser l’omerta au péril de leur vie…
Mini-série en 6 épisodes tirée des faits réels rapportés par le roman éponyme d’Alex Perry, "The Good Mothers" tient davantage de la série "Gomorra" – pour son regard sociologique et sa radiographie de la mafia – que de l’univers plus décalé, poétique et analytique, des "Soprano". À ceci près ici que le dispositif, qui substitue le morcellement à la vue d’ensemble, ne sonde résolument pas tous les tenants et aboutissants de la machine criminelle. Exit ainsi le regard journalistique omniscient d’un Roberto Saviano, et place à une réalité beaucoup plus elliptique : celle vécue par les femmes aux prises de la ‘Ndrangheta, qui n’accèdent par définition jamais aux conciliabules des parrains mais doivent au contraire se contenter - leur condition de femme les y astreint - des coulisses et antichambres. Dans "The Good Mothers", le point de vue n’apparaît pour cette raison jamais que parcellaire. Puisque la focalisation s’avère toujours interne et qu’elle concerne systématiquement une femme captive (fille de parrain, femme de mafieux, procureure isolée…), l’espace qui s’offre au regard relève invariablement de la lisière ou de la frontière.
Au gré des quatre principaux récits se déroulant parallèlement – celui de Denise, Giuseppina, Anna et Concetta –, auquel pourrait s’ajouter celui de la mère Lea dans le versant en flashback, toute la mise en scène s’apparente à un inventaire de la claustration. L’existence de Denise Cosco, fille d’un parrain, s’est essentiellement traduite par la fuite et l’isolement, sa mère ayant témoigné contre ‘Ndrangheta. Emprisonnement qui se révèle d’autant plus tangible depuis son retour auprès de son père Carlo, qui la tient sous son joug. Que cela soit à Milan dans l’immeuble miteux ou dans le village désolé en Calabre, le cadrage représente son espace de vie comme un cachot à ciel ouvert, labyrinthe cerné par les sbires et autres cerbères. Même schéma pour les femmes de mafieux Giuseppina et Concetta, l’une réduite au rang de chien obéissant, l’autre enfermée et surveillée par ses parents délateurs. Quant à la procureure Anna Colace, bien qu’épargnée par l’assujettissement implacable du système mafieux, elle vit sous la menace permanente d’un assassinat et doit se soumettre perpétuellement aux exigences impérieuses de sa hiérarchie – tous des hommes.
De ce glossaire de l’enfermement, qui illustre de façon édifiante le caractère infiniment machiste, misogyne et sexiste de la ‘Ndrangheta, découle une atmosphère des plus oppressantes. À la manière des points de vue morcelés des protagonistes et des regards obliques foisonnants d’hostilité du voisinage dans "As Bestas" (Rodrigo Sorogoyen, 2022), "The Good Mothers" dessine une terreur parfois intraitable. Ce sentiment terrible tenant du thriller vaut pour la plupart des récits de la série, mais surtout pour celui de Denise dont le père Carlo se montre d’une cruauté rentrée (ou pas) sidérante. Le jeu de l’acteur Francesco Colella, qui jongle habilement avec les rictus et sourires torves, alimente considérablement l’équation. De même, on reconnaît les mécanismes angoissants du réalisateur Rodrigo Sorogoyen, où l’animosité et la domination n’éclatent jamais plus que dans la prétendue camaraderie – voir la scène de la tarantelle entre Carlo et Carmine, en forme quelque part de baiser de la mort. Cette sensation globale de suffocation et de séquestration, la mise en scène s’en empare plutôt intelligemment, multipliant dans le cadre les embrasures, les grilles en surimpression des personnages, les horizons bouchés, les intérieurs comme des souricières, la quasi absence de plans d’ensemble pour renforcer la fragmentation… bref toute la rhétorique d’un espace sans issue.
Pour autant, "The Good Mothers" et toutes ses femmes humiliées, harcelées, battues, détruites, manque in fine de diversité dans son récit et son écriture. Les cheminements tortueux parallèles de toutes ces victimes condamnées à l’enfer ont bien sûr de quoi troubler et horrifier, mais ces derniers frisent la tautologie et la redondance. Comme si la série déployait toute son énergie à n’illustrer qu’exclusivement les limbes inextricables au sein desquelles errent, en liberté surveillée, les femmes. Or, ce choix d’empiler sans cesse les malheurs et tribulations finit par ankyloser la diatribe convoitée. Ce bagne intolérable que la série vise à mettre en lumière en vient alors à se normaliser et se banaliser, ce qui paraît regrettable. Des ruptures dans le rythme et dans l’enchainement narratif auraient probablement permis d’enrayer cet écueil, de mieux mettre en valeur le caractère audacieux et valeureux des différentes héroïnes. Reste que "The Good Mothers", grâce à une réalisation solide et surtout à d’excellents interprètes (dont Gaia Girace de "L’amie prodigieuse", Valentina Bellè ou encore Barbara Chichiarelli), dresse un portrait frappant et poignant du microcosme inhumain de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise. Vision diabolique surtout qui se double d’un puissant portrait croisé de femmes.
Adaptée du roman « The Good Mothers : The True Story of the Women Who Took on The World’s Most Powerful Mafia » d’Alex Perry, la mini-série "The Good Mothers" est disponible depuis le 5 avril 2023 sur Disney+.