Été 1984. Une petite ville mormone de l’Utah apprend avec effroi l’assassinat macabre de Brenda Wright Lafferty et de son bébé de 15 mois - l’histoire est tirée de faits réels et les noms aussi. Ces derniers sont membres d’une importante famille de la communauté de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, auxquels appartiennent bon nombre des habitants de la ville. Pour mener à bien son investigation, l’inspecteur Jeb Pyre - un mormon pratiquant – et ses enquêteurs, doivent composer avec une bureaucratie mormone très peu encline à faciliter leur travail. À mesure qu’il découvre l’origine funeste de ses propres croyances et de ses conséquences tragiques, Jeb commence à perdre la foi…

Depuis la sortie de "Les poings contre les murs" (2013), les thèmes de prédilection du cinéaste David Mackenzie ont gagné en gravité et en épaisseur - en violence aussi. Car devenus plus réalistes, ceux-ci ne pouvaient finir que par s’assombrir. Une tendance à la noirceur qui n’a cessé de s’accentuer avec le film "Comancheria" (2016), cavale de deux frères en déroute dans une Amérique façon puzzle et tiraillée par la crise économique. Force est de constater que "Sur ordre de dieu", proposé par Disney+, navigue dans les mêmes eaux tumultueuses et inhospitalières. Avec toujours pour enjeu affiché ou non d’explorer l’irréductibilité du réel - celui qui échappe à tout manichéisme - sans jamais tracer de frontière nette entre bien et mal, la série multiplie les longues scènes dialoguées. Comme si les mots - à la manière de la série "Sermons de minuit" de Mike Flanagan qui se penchait déjà sur le fondamentalisme religieux - étaient les seuls à véritablement permettre de dénouer les trajectoires pernicieuses et décisions délirantes des protagonistes les plus radicaux.

Dans cette bourgade où chacun se connaît et où tous ou presque partagent la même doctrine religieuse ainsi que son dogmatisme forcené, la justice et le système apparaissent comme une abstraction à combattre. Tout principe de réalité venant s’opposer aux voies impénétrables du seigneur, tout argument remettant en question les prétendues voix entendues par quelques fous de dieu, valent blasphème et violences acharnées. Via ce dispositif épineux, Mackenzie dresse un portrait édifiant du fondamentalisme mormon. Grâce à une mise en scène claustrophobe - tout ou presque se déroule en intérieur, allégorie de l’enfermement idéologique - et à une pédagogie appuyée remontant aux origines troubles du mormonisme, le réalisateur illustre avec brio l’un des nombreux terreaux de la banalité du mal. Dans ce microcosme impitoyable où les hommes écrasent et tyrannisent les femmes sous prétexte d’un obscur message de dieu les y invitant, font rage le paternalisme, la misogynie et une violence sourde de chaque instant. Et gare à celui, et surtout celle, prenant la liberté de poser le doigt sur les coutures.

Outre le suspense psychologique - le cas de conscience du personnage principal, Jeb, qui se retrouve sommé par son épouse elle-même de revenir dans le rang sans chercher à identifier de coupable -, "Sur ordre de dieu" laisse aussi une grande place au thriller. Ainsi, l’atmosphère emprunte largement sa tonalité à une série telle que "True Detective", entre horreur et longs échanges se penchant sur l’éternel dualité bien/mal. Dans le rôle des deux flics sur le point de devenir inséparables malgré leurs différences a priori inconciliables, les acteurs Andrew Garfield ("Under the Silver Lake", entre autre) et Gil Birmingham fascinent. Même chose pour tous les jeunes fous de dieu de la famille Lafferty - Sam Worthington, Rory Culkin (le frère de Macaulay et Kieran) et Wyatt Russell en tête. De fait, en dépit de son côté parfois bavard et démonstratif, "Sur ordre de dieu" apparaît comme une série réussie. Car elle sait subtilement entremêler un propos quasi documentaire avec de l’effroi et une tension plus ou moins permanente. Il y a matière à réflexion et de quoi rester en haleine, malgré quelques longueurs.

"Sur ordre de dieu" est une mini-série tirée de faits réels et diffusée sur la plateforme Disney+.