- Auteur : Margot Douaihy
- Editeur : Harper Collins
Repentie de Margot Douaihy
Traduit de l’anglais (USA) par Sophie Aslanides et Peggy Rolland
Sœur Holiday est une nonne lesbienne qui cache sous un foulard et des gants noirs ses tatouages datant de l’époque où elle jouait de la guitare électrique dans un groupe punk. À présent, elle se contente d’une acoustique et donne des cours de musique aux élèves de l’école Saint-Sébastien, sise à La Nouvelle-Orléans et tenue par les religieuses de son ordre : les Sœurs du Sang sacré. Un soir que sœur Holiday fume une cigarette qu’elle a confisquée à un élève, un incendie se déclenche dans l’établissement. Elle voit une silhouette tomber du premier étage en feu, elle entend les cris de jeunes coincés dans le bâtiment, se précipite… Après cela, elle mène une enquête en parallèle de celle de la police et des pompiers. Jusque-là, rien que de très classique comme polar.
Une bonne sœur queer qui enquête, voilà une héroïne originale, quoique rappelant un peu tous ces détectives amateurs, religieuses ou pasteurs, pâtissières ou bibliothécaires, restauratrices ou écrivaines, aristocrates ou retraitées, etc., florissant dans les romans historiques ou les cosy mysteries avec un plus ou moins grand bonheur. Cependant, les particularités de sœur Holiday n’ont rien de gratuit ; on se rend compte au fur et à mesure de la lecture de leur importance dans le scénario qui s’avère bien plus riche qu’il n’y paraissait au début, début assez laborieux. Il faut en effet noter un gros bémol en ce qui concerne certains choix de traduction, comme l’omniprésent passé composé qui aplatit la narration au point d’estomper, voire effacer l’intérêt de l’intrigue.
Et puis vient un flashback, un souvenir de sa vie d’avant…
« Mon frère avait besoin de moi. Après son coming out au cours de sa première année de lycée, il était sans cesse harcelé (…) je ne savais pas que les garçons pouvaient se faire violer. »
Les réminiscences, remémorations, retours en arrière, longs et nombreux, sont ce qu’il y a de plus prenant, de plus émouvant, de plus riche dans ce roman. L’enfance et la jeunesse de Holiday et de son frère, l’amour avec Nina, les bonheurs et les malheurs de la famille… On comprend peu à peu le rôle du feu dans l’histoire de Holiday et pourquoi c’est tellement important pour elle d’enquêter sur l’incendie. On apprend dans quelles circonstances elle a quitté sa vie d’avant, et est entrée au couvent.
Et puis, est-ce grâce à ce lien avec le passé de sœur Holiday ? Toujours est-il que le présent gagne enfin de l’intérêt. Les visites à la nursery de la prison avec sœur T. Les disputes de Holiday avec une autre religieuse ou avec l’enseignante qui partage sa salle de classe. Le flic sexiste qu’on bafferait volontiers. L’enquêtrice qui pouffe sans cesse alors que rien ne prête à rire. Le jazz de La Nouvelle-Orléans. Et la découverte que quelqu’un essaye de faire porter le chapeau à Holiday…
« Nous avions assimilé le sexisme et l’homophobie jusqu’au plus profond de notre moelle. »
Petit à petit, on se laisse complètement prendre par l’histoire et par la peinture de la société états-unienne – New York pour le passé, La Nouvelle-Orléans pour le présent, avec les terribles séquelles, près de vingt ans après, de l’ouragan Katrina. Et petit à petit, alors qu’au début du roman je grinçais des dents en le trouvant mal écrit, j’arrivai très émue à la fin de Repentie, espérant vivement lire d’autres ouvrages de Margot Douaihy. La suite sort ces jours-ci en version originale, souhaitons donc qu’elle soit bientôt traduite !
Lucie Chenu