- Auteur : Benjamin Franceschetti
Premier roman historique, Si le geste est beau est un polar qui nous entraîne en 1914 à Paris après un attentat anarchiste. L’occasion de se plonger dans une époque juste avant la bascule de la Grande Guerre.
Bepolar : Si le geste est beau est votre premier roman. Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture ?
Benjamin Franceschetti : J’ai toujours écrit, au moins depuis l’adolescence, mais principalement pour moi ou pour un groupe très restreint de personnes, des textes courts, des fanfictions, des choses parfois sans queue ni tête : c’est une pratique qui est de l’ordre de l’habitude, en fait. Puis il y a six ans, quand je passais les concours de l’enseignement, je me suis mis à écrire un "truc" - je n’ai pas de meilleur terme - très personnel, très cathartique. Une fois terminé, je me suis rendu compte que ça ressemblait à un roman, et j’ai tenté de l’envoyer à des maisons d’édition. Le manuscrit a été unanimement refusé – et heureusement, car rétrospectivement je me rends compte que ça aurait été très difficile à assumer ! En tout cas, à partir de là, le pli était pris : je me suis mis à réfléchir à des projets qui pourraient se concrétiser en roman, d’abord dans le domaine de la SFFF, puis finalement du polar.
Bepolar :On plonge à Paris en 1914, à quelques mois de la première guerre mondiale. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de ce roman et l’envie d’écrire dans cette période ?
Benjamin Franceschetti : Au départ, j’étais sur un projet de SFFF : une uchronie dans laquelle la Première Guerre n’avait pas eu lieu. En m’intéressant aux causes de la guerre, et à la situation politique de la Belle Epoque, je suis tombé sur l’histoire de Joseph Caillaux, qui aurait pu gagner les élections de 1914 si sa femme n’avait pas assassiné le directeur du Figaro. J’ai commencé à réfléchir à une intrigue qui intégrerait cette histoire-là, et progressivement le projet s’est transformé en pur et simple polar historique. La lecture de Christopher Clark, l’auteur des Somnambules, a été un second déclic : pour Clark, la Belle Epoque est très proche de la nôtre sur de nombreux aspects, notamment l’émiettement géopolitique, les tensions sociales et le spectre du terrorisme. Cela m’a donné la forme du récit : un mélange entre roman feuilleton et roman d’espionnage contemporain.
Bepolar :On suit notamment un groupe d’anarchistes, en ces temps où ils posaient des bombes. Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce groupe et dans leur idéologie à ce moment là de l’histoire ?
Benjamin Franceschetti : D’abord une raison pratique : je voulais intégrer le terrorisme au récit, et questionner la violence politique, pour justement faire ce pont entre la Belle Epoque et les années 2020. Par conséquent, en 1914, mes terroristes devaient être anarchistes (même si, en 1914, le terrorisme anarchiste commence à être un peu anachronique, la bande à Bonnot faisant figure d’exception). Je voulais traiter de la question de la violence politique, montrer à la fois comment elle peut être légitimée de l’intérieur, tout en mettant en avant ses conséquences dramatiques. Montrer aussi comment ces courants sont gangrenés, manipulés, pervertis, par différents enjeux géopolitiques, différents groupes d’influence... Bref, prendre au sérieux le terrorisme en lui-même, et le discours terroriste, sans avoir à son sujet un propos simpliste.
A cela s’ajoute une raison personnelle : j’ai toujours été intéressé par l’anarchisme en tant que théorie politique et je voulais rendre compte de sa diversité. Selon les courants, on navigue entre l’utopie, le nihilisme, le simple militantisme ou même une certaine forme d’immobilisme. C’est quand même un courant auquel on peut rattacher aussi bien Proudhon que Céline ! Bref, je trouvais intéressant de mettre en avant cette diversité à travers un groupe de personnages.
Bepolar :On croise aussi le commissaire Fabre, en fin de carrière et Cerutti le
Corse, qui vont enquêter sur un attentat. Comment pourriez-vous nous
les présenter ? Qui sont-ils ?
Benjamin Franceschetti : Fabre est tout simplement un vieux flic qui sait faire son travail, qui croit profondément à sa fonction, mais qui est sur le point de prendre sa retraite et qui rêve déjà de pêche à la ligne. Il n’est ni plus fort ni plus intelligent que la moyenne, simplement un peu plus empathique peut-être. En fait, j’étais un peu fatigué par le cliché du flic borderline, forcément génial ou ultra-violent, et je voulais que l’enquête soit menée par un personnage banal, un simple travailleur dont la vie ne se résume pas à ses enquêtes mais qui fait de son mieux, en respectant globalement les procédures. Cerutti, lui, est un jeune flic en pleine dépression, mais qui fait lui aussi son travail sans éclats ni originalité. Par contre, à la différence de Fabre qui est un bon vivant, il est constamment les nerfs à vif et il cherche refuge dans deux drogues opposées : l’alcool et la prière. Enfin, ils sont rapidement rejoints par un troisième policier, Garcin, un personnage absolument infâme, l’espion dans ce qu’il a de plus détestable. Une autre intrigue se déroule en parallèle, qui met en scène le personnage d’Eugène, jeune journaliste qui rêve de gloire et qui s’improvise détective. L’idée avec lui était de jouer sur l’archétype du journaliste-détective, archétype qui a une certaine réalité à l’époque, et qui en même temps renvoie directement aux codes du roman-feuilleton. La particularité d’Eugène, c’est qu’il se rêve lui-même en Rouletabille mais qu’il est en constant décalage avec ce fantasme.
Bepolar :Votre roman est un polar, mais il évoque aussi la politique, la guerre
à venir et cette période si particulière avant l’embrasement. Comment avez-vous travaillé sur le cadre et le contexte ? On imagine beaucoup de documentation...
Benjamin Franceschetti : Beaucoup de lectures, à vrai dire. Des essais historiques sur l’organisation sociale de la Belle Epoque, sur les grandes évolutions politiques, sur la loi des Trois ans et Joseph Caillaux, sur la presse à sensations, sur les causes de la Grande Guerre, sur la police, sur l’espionnage et les services de renseignement, sur l’anarchisme... Et à côté de ça, des lectures moins arides mais d’époque : Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Souvestre et Alain... En parallèle, quelques épisodes des Brigades du Tigre pour avoir les moyens de visualiser les lieux et les personnages.
Bepolar :Votre roman est en librairie depuis quelques semaines. Comment vivez-vous cette période, celle des dédicaces et des avis des lecteurs et lectrices ?
Benjamin Franceschetti : Avec beaucoup d’étonnement. Je n’arrive pas encore à me faire à l’idée que de parfaits inconnus puissent lire et apprécier mon livre. A part ça, je suis très intéressé par les différents retours qu’on peut me faire.
Bepolar :Quels sont vos projets ? Est-ce que vous avez un nouveau roman en chantier ?
Benjamin Franceschetti : Plusieurs, à différents degrés d’avancement. Un thriller presque achevé qui se déroule à notre époque dans un lieu imaginaire de méditerranée. Un roman noir (ou une histoire de fantômes, je ne sais pas trop) dont je n’arrive pas à être pleinement satisfait parlant de la Corse des années 2000. Enfin, un polar dont la forme est encore incertaine, qui se déroule de nouveau à la Belle Epoque et qui traite du complotisme.