Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ? C’est votre premier roman publié, quel est votre "chemin d’écriture" ? Est-ce que c’est le premier que vous avez écrit ?

Armand Delpierre : J’écris depuis une dizaine d’années, des choses différentes, j’ai l’impression avec le recul que je me suis testé dans différentes formes d’écriture avant de choisir le roman policier. Il y a quelques années, quand j’ai décidé de me lancer sérieusement dans l’écriture avec pour objectif de parvenir à un livre publié, j’ai choisi le style qui me plaisait le plus à ce moment-là, en tant que lecteur : le polar. J’ai commencé par imaginer l’équipe de policiers dont je raconte la vie dans « Paris se lève ». Je me suis demandé quel était leur parcours, la couleur de leurs yeux, leur origine, leur religion s’ils en ont une, … leur histoire en un mot. Je n’ai pas seulement imaginé leur passé et leur présent, j’ai aussi en tête leur évolution future, et pour certains personnages elle risque de surprendre les lecteurs !

Les histoires viennent en fonction des circonstances, de mes lectures, de mes échanges. Tout peut être une source d’inspiration.

Je voulais aussi que mon roman ait quelques caractéristiques fortes, identifiables, et aussi reproductibles par la suite : une intrigue sur 7 jours pour que l’action soit dynamique, un intérêt pour la vie personnelle des policiers, au-delà des enquêtes qu’ils mènent, un cadre qui entraîne le lecteur dans différents endroits de Paris, certains connus et d’autres moins, et aussi la présence dans le roman d’événements réels qui ont marqué, à un moment donné, la société française.

Bepolar : On y suit les enquêtes du lieutenant Pierre-Louis Madec à Paris. Qui est ce personnage ? Comment est-ce que vous pourriez nous le présenter ?

Armand Delpierre : Pierre-Louis Madec est un inspecteur de police encore assez jeune, mais qui a déjà de l’expérience. Il a travaillé à l’étranger. Au début de « Paris se lève », en janvier 2015, il termine une période de quelques années à Brest et est muté à Paris, dans un service de police judiciaire que j’ai imaginé, le SRPJ 92. Il va rencontrer ses futurs collègues, sympathiser avec certains mais pas avec tout le monde, tout en s’installant dans sa nouvelle vie. Au début du roman, il est marié avec Agnès, qui ne l’a pas accompagné dans son installation à Paris. Il est plein d’enthousiasme et dévoué à son métier, mais en même temps il est traversé par des questions sur certains aspects de sa vie. Il en est à un tournant, mais il n’aura pas le temps d’approfondir toutes les questions personnelles qu’il se pose,parce que les événements se précipitent et qu’il doit lutter contre le crime.

Bepolar : Quels sont vos liens avec vos personnages, vous leur créateur ?

Armand Delpierre : Il y a eu deux étapes distinctes. Au début, j’avais l’impression d’être tout-puissant, mais sans mode d’emploi. Je créais mes personnages, petit à petit, sans me précipiter, pour qu’ils deviennent solides. J’ai fini par imaginer l’histoire de la vie de ces personnages de façon détaillée, et j’en livre seulement une petite partie dans « Paris se lève », ce qui est normal : en quelques jours, on n’a pas le temps de faire la connaissance approfondie de l’équipe. Il va falloir quelques volumes supplémentaires ! J’en suis maintenant à une étape différente où mes personnages ont une sorte d’existence propre dont une partie seulement a été dévoilée aux lecteurs. Ils ont envie de faire d’autres choses qui correspondent à leur caractère, à leurs inclinaisons, parfois à leurs démons,certains aimeraient aller plus loin dans l’exploration des questions qu’ils se posent sur un sujet ou un autre, pour décider ensuite quelle sera leur orientation. Ils vivent avec moi tous les jours, et je note ce qu’ils me disent en attendant de les mettre de nouveau en scène.

Bepolar : Vous évoquez les assaillants de Charlie Hebdo, vous leur donnez même une voix. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire autour de cet attentat et d’incarner ces terroristes ?

Armand Delpierre : Comme beaucoup de gens j’ai été choqué par ces évènements tragiques. J’ai suivi avec stupeur leur déroulement, la traque qui a suivi, et j’ai aussi défilé dans Paris quelques jours après pour manifester ma solidarité avec tous ceux qui luttent contre l’obscurantisme, parfois au péril de leur vie malheureusement.

Par ailleurs, j’apprécie des auteurs de polars comme Ian Rankin, Michael Connelly, George Pelecanos ou Henning Mankell, qui intègrent dans leurs livres des éléments de la réalité sociale et politique. J’ai eu envie de faire quelque chose de semblable dans « Paris se lève », en allant plus loin. Il y a donc une histoire autour des attentats dans mon livre, centrée sur de la traque qui a suivi ceux-ci. Les recherches mobilisent énormément de moyens de police, ce qui fait que mes héros, fictifs cette fois, ont du mal à mener à bien leurs enquêtes et doivent se débrouiller comme ils peuvent pour avancer. Les faits historiques et la fiction ne sont pas seulement racontés en parallèle, ils se rejoignent et s’influencent.

Pour ce qui est de prêter une voix aux assaillants de Charlie Hebdo, on est ici en terrain très sensible. Au départ, je voulais seulement donner à voir des actes en les racontant de façon neutre, parce que je sentais qu’il aurait été déplacé d’en rajouter. Je suis resté je pense fidèle à ce principe, mais en même temps je n’ai pas pu garder une approche strictement behaviouriste – à la Jean-Patrick Manchette par exemple, un autre de mes modèles en matière de polar – et il m’est arrivé d’imaginer les pensées de ces personnes quand ils préparaient leurs actes ou qu’ils prenaient la fuite. J’espère l’avoir fait de façon décente.

Bepolar : Le roman vient de sortir il y a quelques semaines, comment vivez-vous ce moment ?

Armand Delpierre : Je le vis comme une somme de « premières fois ». Première fois que je vois mon livre imprimé, que je lis une critique, que je rencontre des libraires, des lecteurs, que je parle du livre avec quelqu’un qui l’a lu. Première fois que l’on me reconnaît, en me demandant « Est-ce que c’est vous le monsieur qui écrit des livres ? » Toutes ces premières fois sont des bénédictions pour moi, et je mesure qu’il y a plusieurs périodes dans la vie d’un roman. En ce moment c’est le temps des rencontres et des échanges, c’est très gratifiant et je suis toujours surpris de voir l’intérêt des lecteurs à la fois pour le livre et ses personnages mais aussi sur le processus d’écriture.

Bepolar : Quels sont vos projets ? Avez-vous un nouveau roman en chantier ?

Armand Delpierre : J’ai des projets pour mes personnages, ou bien eux en ont un pour moi c’est selon. Je voudrais donner non pas une suite mais plusieurs à « Paris se lève », en conservant les principes d’écriture dont j’ai parlé : une équipe d’enquêteurs qui se bat contre le crime dans Paris, pendant quelques jours, avec une focalisation sur des personnages que je me laisse libre de faire varier selon les situations, et aussi mélange d’enquêtes fictives et d’événements réels forts, qui se sont produits dans un passé récent.

Le deuxième volume est bien avancé. Il se situe quelques années plus tard, et il sera tout à fait possible de l’apprécier sans avoir lu « Paris se lève », même s’il met en scène des personnages identiques. Je me sens très encouragé par les premières réactions des lecteurs et des lectrices : je me pensais très ambitieux de vouloir écrire une série de romans basée sur « Paris se lève », alors que pour eux c’est tout simplement une évidence. Ils veulent savoir ce que deviennent les personnages. Ça tombe bien, moi aussi.