- Auteur : Patrick Breuzé
- Editeur : Calmann-Lévy
"Quand les passions couvent sous la neige d’une vallée alpine..."
Bepolar : Comment est né le roman Les Buveurs de ciel ?
Patrick Breuzé : Comme tous mes autres romans, en partant d’un détail et en construisant autour une histoire. Cela ressemble un peu à ces portraitistes de la place du Tertre à Paris qui commencent par dessiner un lobe d’oreille ou une pupille. C’est en quelque sorte mon point d’ancrage d’où je vais partir.
En la circonstance pour Les Buveurs de ciel, c’est un café que l’on était en train de démolir. La question qui m’est tout de suite venue est : et les habitués que vont-ils devenir ? Où vont-ils aller, dans un autre café où ils n’ont pas leurs habitudes ou pire encore dans un autre village ?
Bepolar : Qu’aviez-vous envie d’aborder avec cette histoire ?
Patrick Breuzé : La solitude, la fin de vie et la solidarité. Des thèmes présents dans la plupart de mes romans. Pour de nombreux « vieux », le café est le dernier port où l’on amarre la barque de sa vie. Il ne leur reste plus que les souvenirs, les parties de cartes, les chicaneries fréquentes chez les hommes qui boivent trop. Mais ce sont des chicaneries d’hommes, on veut garder son rang, faire croire que l’on en a fait plus durant sa vie qu’il n’y paraît.
En dépit de ces coups de gueule les soirs de grandes beuveries, ils ont plaisir à être ensemble ces gens-là. Ils forment une famille.
Bepolar : Tout tourne autour d’un café en montagne. Pourquoi avez vous investi ce lieu ?
Patrick Breuzé : Parce que j’aime les vieux cafés encore dans leur jus comme on dit aujourd’hui : les tables collantes, le coup de lavette avant de servir, les cendriers aux couleurs anisées... Cela représente un monde qui disparaît. Un monde qui pourtant participe au lien social entre les personnes souvent âgées qui n’ont comme seules relations que celles du bistrot. Cela se résume avec bonheur dans la citation d’Antoine Blondin : « le zinc est le seul métal conducteur de l’amitié. »
Bepolar : Parce que c’est l’endroit de tous les échanges humains ?
Patrick Breuzé : Oui, c’est un refuge, un port où l’on s’arrête, un havre où l’on se réchauffe et où l’on reprend espoir. Ces hommes, et quelques femmes aussi, ont beaucoup à dire et à raconter mais on ne les écoute pas. Moi j’aime leur contact et ce qu’ils apportent d’humanité du fond de leur détresse qui est souvent bien réelle.
Bepolar : Ce qui est formidable dans votre roman, ce sont les personnages. Comment est-ce que vous pourriez nous présenter Henri, Lili ou bien encore la Banquise ?
Patrick Breuzé : Pour savoir comment je les vois il faut lire le roman car ce n’est pas en quelques phrases que l’on explique la profondeur de l’âme. Pour ce qui est des trois personnages que vous citez, ce sont des créations, des images, des traits de personnalités que j’ai un jour croisés et oublier. Tout mon travail consiste à les faire ressurgir du passé, à leur donner une humanité, née de leur histoire, un futur et un passé qui les a construits. Henri est un peintre lyonnais. Un homme de bonne famille, élevé dans le luxe et les mondanités. Il a pris ses distances avec sa famille pour courir les sommets et peindre. Un jour il est victime d’un accident grave et perd l’usage de ses jambes, momentanément. Lili est une serveuse de café, une jeune femme cabossée dont on va découvrir peu à peu les difficultés de la vie passée. Elle tombe amoureuse d’Henri. La fin du roman montrera à quels sacrifices est prête une femme amoureuse pour garder celui qu’elle aime. Et il y a la Banquise, un ancien marin, une force de la nature qui croit être la réincarnation de Rimbaud. Toute la journée, il griffonne des poèmes sur des carnets de mauvais papier gris que lui donne le patron du bistrot. Son drame à lui, c’est de ne pas savoir aimer. Il n’a jamais osé, jamais su, jamais partagé. Et à la fin de sa vie, il est seul. Sauf que...
Bepolar : Comme l’écrivait l’un de vos lecteurs sur internet, ils sont tous un peu "éclopés de la vie". Vous les vouliez avec des bosses et des blessures ?
Patrick Breuzé : Ils ne sont pas éclopés, ils sont cabossés tout simplement parce qu’ils n’ont pas eu de chance ou ont choisi la mauvaise porte le jour où il leur a fallu décider. Cabossés, abimés mais solidaires. Quand l’un est en difficultés les autres l’aident tel Henri qui fait effacer les ardoises pour que les petits vieux comme il les appellent affectueusement ne grugent pas trop leur pension de retraite.
Bepolar : Un petit mot sur les Alpes. Est-ce que votre roman aurait pu avoir un autre cadre, d’autres montagnes ?
Patrick Breuzé : Oui incontestablement, il aurait pu se dérouler dans n’importe quel autre milieu rural. Il se passe ici en Haute-Savoie parce que c’est devenu ma région d’adoption, que j’en connais les paysages, les habitants et les particularités. Petit détail : j’écris sur le motif comme ces peintres qui peignaient jadis sur le motif. J’ai besoin de baigner dans des atmosphères pour en tirer le meilleur, c’est pourquoi ce roman est celui des cafés aux couleurs sépias et au rouleaux de papier tue-mouches qui pendent au plafond.
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices gardent de votre histoire en fermant ce roman ?
Patrick Breuzé : Que rien n’est jamais fini. Même au plus noir de la nuit brille toujours une flamme qui est celle de l’espoir et à laquelle nous devons nous accrocher quand les choses vont mal. C’est le cas de Lili, elle a pris huit ans pour meurtre mais n’a jamais perdu espoir.
Bepolar : Et maintenant quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Patrick Breuzé : Sur d’autres romans, sur une pièce de théâtre, sur un opéra... Il me faut des projets pour vivre et rêver. Je suis comme un funambule qui avance parce qu’il sait que des projets sont en cours. Sinon je risquerai de tomber.
Découvrir un extrait des Buveurs de ciel.