- Réalisateur : Olivier Assayas
- Acteurs : Alicia Vikander, Vincent Macaigne, Jeanne Balibar, Vincent Lacoste
Archétype par excellence de série inclassable, "Irma Vep" revient quelque part aux origines du polar, entre comédie méta et drame intime. L’occasion une fois de plus pour Assayas, à travers Alicia Vikander, de célébrer la magnétique Musidora, star du muet, et de réactualiser le célèbre sérial de Louis Feuillade : "Les Vampires".
Avec sa mini-série "Irma Vep" pour HBO, Olivier Assayas auto-remake un film éponyme sorti il y a 26 ans ("[Irma Vep]", 1996). L’intrigue, transposée à l’heure des plateformes de streaming et de l’hégémonie galopante des séries, consiste toujours à suivre le tournage d’une nouvelle itération du feuilleton muet fleuve "Les Vampires" de Louis Feuillade (1915). De quoi donner le tournis. En lieu et place de Maggie Cheung et Jean-Pierre Léaud dans les rôles de la star de cinéma désabusée et du metteur en scène borderline hilarant, on retrouve Alicia Vikander et Vincent Macaigne. La première interprète Mina, une actrice hollywoodienne à la renommée mondiale qui accepte de délaisser les blockbusters habituels pour jouer Irma Vep dans une série française arty. Dans le rôle de René Vidal, le second est un cinéaste avant-gardiste à l’intégrité inébranlable qui doit lutter contre ses névroses et sa misanthropie pour parvenir à réaliser ses ambitions. Très vite, tout apparaît limpide pour le spectateur : le réalisateur Assayas articule une mise en abyme à tiroirs de son propre travail de metteur en scène via René Vidal, déconstruit le rapport étroit entre les comédiens et leurs rôles à travers Mina, pose la question de la différence entre cinéma et série à l’heure de Netflix et autre OCS, etc. Tout cela apparaît déroutant, stimulant et irrésistible à la fois.
Avec sa structure où tout s’imbrique en poupées russes, "Irma Vep" (anagramme de Vampire) ressemblerait presque à un documentaire de tournage du remake des "Vampires". Les scènes oscillent entre le plateau de tournage, la chambre de palace de Mina, les soirées entre acteurs. Pourtant, sa mise en scène baroque et son récit choral pointilliste achèvent de brouiller les pistes. Si la série radiographie les conditions de tournage d’une série d’auteur et sa production semée d’embuches, elle n’en oublie jamais ses protagonistes ni tous les micro-récits qui les relient. En incarnant Irma Vep plus d’un siècle après l’immense star du muet Musidora, Mina aka Alicia Vikander souhaite à tout prix échapper à sa carrière balisée et à sa récente rupture houleuse. Elle finit par se projeter corps et âme dans la peau de son personnage, une voleuse acrobatique à la Arsène Lupin qui se joue autant de la police que d’un tenace journaliste d’investigation. À tel point qu’elle se consume : les frontières entre elle-même et son protagoniste dans "Les Vampires" s’estompent et s’assimilent. C’est à ce titre que la série "Irma Vep" flirte largement avec le polar, en dépit de son genre inclassable au croisement de la comédie méta et du drame.
En schématisant, "Irma Vep" suit trois récits : la trajectoire romanesque de Mina au gré de ses rencontres, échanges et déambulations dans les hôtels, les plateaux de tournage, les réceptions parisiennes ; celle de René Vidal, ivre de création et en proie à toutes sortes d’angoisses ; le tournage en lui-même, et plus spécialement la juxtaposition entre les scènes du nouveau "Les Vampires" et les anciennes de Louis Feuillade. En dépit de cette écrasante sophistication, tout semble d’une légèreté et d’une clarté remarquables. On suit les cheminements escarpés de l’intrigue entre curiosité et fascination. Le devenir de Mina, perdu entre son rôle et sa vie, donne lieu à une profonde interrogation sur la condition de l’acteur. Les vicissitudes de René Vidal s’apparentent à une sorte de psychanalyse voire d’autobiographie d’Olivier Assayas. Fantasmes, névroses, obsessions… ces deux-là partagent d’innombrables secrets. Une dimension intime qui frise même quelquefois l’impudeur, ce qui rend "Irma Vep" d’autant plus riche et précieux.
Qui dit réitération ne vaut pas reproduction bête et méchante, car tout change ou presque dans ce "Irma Vep" revisité. Dans le sillage de "Personal Shopper" (Assayas, 2016), notamment, la mini-série voue une fascination absolue pour son personnage-titre. Jusqu’au plus prêt de sa peau, la caméra sonde Alicia Vikander et ses différents personnages avec fougue et intensité. Au-delà de l’humour et de l’ironie mordante, qui partout affleurent dans "Irma Vep" – souvent aux côtés de Vincent Macaigne, Jeanne Balibar et Vincent Lacoste, ou encore de Lars Eidinger en proto Rainer Werner Fassbinder camé et diabolique –, Assayas concocte une sorte d’écrin de désir et d’émotion pour son actrice. Ici, chaque regard ou geste d’Alicia Vikander semblent captés comme si c’était la première fois, et cela en devient même bouleversant quelquefois. Chahutées à travers tous les différents niveaux de récit, la mise en scène et la réalisation brillent à chaque épisode. Précis ou délibérément désordonnés, les plans sont tous d’une grande beauté, entre mouvements d’appareil épiques, déséquilibres et stases millimétrées.
Qu’il est troublant et impressionnant de voir une série aussi complexe et multiple se livrer avec une telle simplicité. On ne sait si Olivier Assayas parvient véritablement à répondre aux innombrables questionnements qui parsèment "Irma Vep" – cela ne semble pas là être son objectif. Le cinéma ne finit-il pas par devenir lui aussi un contenu comme les autres ? Une série scindée en huit épisodes s’apparente-t-elle ou non à un film – David Lynch, entre autre, avait déjà posé la question avec la troisième saison de Twin Peaks ? Qu’est donc "Irma Vep", une comédie, un thriller, un drame, une déclaration d’amour au cinéma – tout ça à la fois ? Toutes ces questions restent en suspens et c’est ce qui rend la série d’autant plus vibrante. "Irma Vep" réserve en cela une expérience aussi captivante que mystérieuse, et c’est déjà beaucoup.
Produit par HBO, la mini-série "Irma Vep", transposition contemporaine du film éponyme "Irma Vep", est disponible sur OCS.