- Réalisateur : David Leitch
- Acteurs : Brian Tyree Henry, Brad Pitt, Joey King, Aaron Taylor Johnson
Un grand-huit sous acide avec des gangsters qui dézinguent à tout-va, voilà la recette imparable de "Bullet Train". Doit-on s’offusquer de sa crétinerie réflexive ou céder à ses gags et pirouettes effrénées ? Les deux, mon colonel.
Bullet train
De : David Leitch
Avec : Brad Pitt, Joey King, Aaron Taylor-Johnson, Brian Tyree Henry
Genre : action, thriller
Pays : Etats-Unis
Année : 2022
Coccinelle est un tueur gaffeur et néanmoins très résolu à mener à bien – une fois n’est pas coutume – sa nouvelle mission. Mais le destin voit les choses autrement et l’embarque dans un train à très grande vitesse aux côtés d’adversaires enragés et comme lui tous désireux de mettre la main sur une mystérieuse mallette. Face à cette situation imprévue, Coccinelle va alors essayer coûte que coûte de descendre du train…
Bête et méchant, "Bullet Train" ? Pas seulement. Ce tour de manège burlesquement macabre, avec son concept minimaliste à la "Unstoppable" (Tony Scott, 2010) mais rehaussé de gunfights épiques, joue évidemment la carte décérébrée à bâtons rompus. Prenez un train à grande vitesse japonais (le Shinkansen reliant Tokyo à Kyoto), bourrez-le de tueurs à gages et autres bandits nonchalants tout droit sortis de "Reservoir Dogs" ou "Pulp Fiction" – le réalisateur David Leitch peine à cacher son admiration pour Tarantino –, arrosez le tout d’une bonne rasade du "Kingsman : Services secrets" (2014) de Matthew Vaughn avant de secouer bien fort. La déflagration frénétique, bariolée et régressive qui en émane donne aussitôt une idée de l’atmosphère pétaradante et terriblement « comics » de "Bullet Train".
Pourtant, sous ses dehors exclusivement acrobatiques et débridés, ce cinquième film du coréalisateur de "John Wick" (2014) néglige finalement assez peu l’intelligence du spectateur, n’hésitant pas à dessiner en creux une intrigue, à certains égards, aussi tortueuse que ludique. Certes, ce joyeux labyrinthe esquissé au gré des flashbacks et retournements de situation tient davantage de l’ornement que de l’essence – la sophistication demeure pour beaucoup un leurre, divertissement oblige. Il n’empêche qu’il procure au film un rythme discontinu et ondoyant, à tel point que la lassitude et l’ennui n’affleurent à aucun instant durant les deux heures passées de voltige du long-métrage. Il faut dire que les réparties et boutades des protagonistes – notamment celles de Coccinelle (Brad Pitt), Tangerine (Aaron Taylor-Johnson) et Lemon (Brian Tyree Henry) – ne manquent ni d’humour potache ni d’à-propos. Dès lors que le récit semble gagner en sérieux, l’affaire apparaît chaque fois désamorcée par un gag sanguinolent et cartoonesque. À moins que tout cela ne finisse par bifurquer in extremis vers la gravité, tant David Leitch se plaît à triturer les tonalités dans tous les sens.
On pourra s’émerveiller ou au contraire rester de marbre devant la mise en scène colorée de "Bullet Train", qui fait la part belle aux néons (par exemple pour caractériser les personnages) et aux mouvements de caméra tape-à-l’œil – on pense au "Kick-Ass" de Matthew Vaugn et à ses protagonistes bigger than life. Mais la qualité essentielle du récit de "Bullet Train" repose sur ses facultés de distorsion du temps. Malaxée, déformée, remuée, morcelée… cette substance temps, entre les mains habiles du jongleur David Leitch, donne lieu quelquefois à des tours d’équilibriste de génie. Ce qui, sans dépasser sa condition de divertissement déjanté et loufoque, fait de "Bullet Train" une œuvre très plaisante.
Exit le réalisme, rien ne compte plus ici que la dérision noire ébène, les cascades et les détonations. Et pourtant malgré tout, cette partie de flipper sous stéroïdes cajole le genre du polar bien plus qu’il ne le malmène. À l’instar de Coccinelle, le personnage incarné avec une drôlerie assez irrésistible par Brad Pitt qui se prend tous les écueils sans jamais sombrer totalement, "Bullet Train" reste debout avec insolence malgré ses facilités et fragilités. Une performance notable, toute proportion gardée pour un long-métrage aussi paradoxalement prenant que subsidiaire. S’agit-il pour autant d’une œuvre trop survitaminée et conformiste pour ne pas risquer de tomber dans l’oubli ? Certainement, mais voilà tout de même un grand-huit dont les vrilles valent sérieusement le détour.
Sorti en 2022 et disponible en VOD, "Bullet Train" est l’adaptation du roman éponyme (titre original « Maria Beetle ») de l’écrivain japonais Kōtarō Isaka.