- Acteurs : Paul Walter Hauser, Greg Kinnear, Taron Egerton
Oubliez la chanson douce des Beatles, le "Black Bird" d’Apple TV préfère les serial-killers à toute forme de poésie. Une mini-série souvent palpitante, en dépit d’un scénario pas toujours bien ficelé et d’une réalisation timide.
Black Bird
De : Dennis Lehane
Avec : Taron Egerton, Paul Walter Hauser, Greg Kinnear
Genre : thriller
Pays : USA
Année : 2022
En 1990, James Keene, séducteur aussi sardonique que misogyne, est écroué pour trafic de cocaïne. Le FBI lui soumet aussitôt une proposition hasardeuse : accepter d’être incarcéré, en échange des dix années de réclusion auxquelles il est condamné, dans une prison de haute sécurité de Springfield avec Larry Hall, tueur et violeur présumé de plusieurs jeunes filles. Objectif : amadouer le tueur afin d’obtenir des détails sur ses crimes susceptibles de prouver sa culpabilité. Keene y consent à reculons, mais sa survie dans la prison s’avère bien vite des plus épineuses…
Peu avant que Netflix sorte "Dahmer" et resserve son couplet habituel du serial-killer sur le mode du true-crime, Apple TV lançait à l’été 2022 une série criminelle porte-étendard intitulée "Black Bird". Quelque part au croisement de "True Detective" (HBO, 2014) et "Mindhunter" (Netflix, 2017-2019), cette mini-série ne manquait pas sur le papier d’ambitions. On retrouve notamment l’audacieux réalisateur Michaël R. Roskam ("Bullhead" en 2011, "Quand vient la nuit" en 2014…) aux manettes de quelques épisodes. Même si des seconds couteaux nettement moins remarquables voire négligeables, à l’image de Joe Chappelle, se chargent aussi de la mise en scène de temps à autre. Mais l’élément le plus alléchant de "Black Bird" tient au nom de son créateur et scénariste, l’éminent Dennis Lehane. Cet écrivain de polars cultes célébré entre autres pour ses immenses « Mystic River » et « Shutter Island » n’en est bien entendu pas à son coup d’essai. Non content d’avoir écrit quelques épisodes des séries "The Wire" et "Boardwalk Empire", le romancier collabora par le passé avec Michaël R. Roskam pour les besoins de "Quand vient la nuit", dont il signait le scénario adapté de son propre roman éponyme. Résultat, "Black Bird" ne peut a priori que fatalement susciter curiosité et attentes. Sans compter que deux acteurs de premier plan se partagent son affiche, Taron Egerton ("Kingsman", "Rocketman"…) et Paul Walter Hauser ("Le Cas Richard Jewell", "Cruella"…).
Nul doute qu’en s’entourant d’une équipe aussi aguicheuse, Apple TV – certes loin derrière Netflix et Amazon Prime Video mais bénéficiant par ailleurs d’une image moins lisse et plus singulière – souhaitait avec "Black Bird" impressionner sinon marquer les esprits. Pari réussi ? Pas tout à fait : le résultat apparaît en demi-teinte tant la série contourne à dessein ou malgré elle l’originalité, ou s’empêtre dans les approximations. Car trop longtemps focalisée sur la trajectoire du personnage de James - « Jimmy » - Keene, "Black Bird" manque de vivacité et peine à s’envoler. Deux cheminements s’y juxtaposent : avant tout le destin tumultueux de Jimmy ; en second lieu la descente aux Enfers de Larry Hall. D’un côté une lente rédemption, de l’autre une damnation sans issue et dissimulée sous une innocence fourbe. Le dispositif, dans son mimétisme avec la série "Mindhunter" visant une sorte de confrontation-spectacle avec le diable, fonctionne. Même si, comme David Fincher est déjà passé par là, inutile de compter sur un quelconque effet de surprise.
L’exploration vaguement psychanalytique des protagonistes, qui consiste ici à fouiller leur enfance au gré de flashbacks pour y faire apparaître du déterminisme (à l’image de la mère peu aimante qui semble induire l’érotomanie de Jimmy, dont les conquêtes d’un soir reprennent la physionomie) se montre en revanche beaucoup trop faible pour convaincre. D’autant que les différents arcs scénaristiques manquent cruellement de substance, trop vite étouffés par-dessous des ellipses bien opportunes. Reste que les fameux face-à-face entre Jimmy et Larry se révèlent quelquefois fascinants et constituent l’essence-même de "Black Bird" -surtout grâce au jeu incroyable de l’acteur Paul Walter Hauser, incarnation doucereuse plus vraie que nature d’un redneck aussi faussement espiègle et qu’infiniment manipulateur. Raison pour laquelle, même inégale, la série se suit avec un certain enthousiasme. Quel dommage, du reste, de ne pas voir plus souvent l’excellent Paul Walter Hauser à l’écran.
Il suffit toutefois de s’attarder un peu sur les coutures de "Black Bird" pour en percevoir les limites. Parfois haletante car justifiant le contre-la-montre auquel se voit soumis Jimmy, l’enquête parallèle menée par les deux policiers (incarnés Epideh Moafi et Greg Kinnear) en dehors de la prison flirte par exemple avec le remplissage. Un comble pour une mini-série ne comptant que six épisodes. Le traitement des personnages s’avère lui aussi beaucoup trop heurté, avec des protagonistes laissés au rang de banales silhouettes – à l’instar du père de Larry, simili croque-mitaine, de sa mère hors-champ, voire même des policiers abandonnés en cours de route. Hormis quelques épisodes plutôt bien réalisés, la mise en scène laisse quant-à-elle à désirer, de même que les décors – la faute à des cadrages souvent beaucoup trop homogènes et peu signifiants – qui peinent à se renouveler. En outre, le choix de mettre en scène aussi scrupuleusement les derniers instants de l’existence d’une des victimes – certes pas dans une veine si voyeuriste que "Dahmer" – pose question. Histoire de contrebalancer cette mise en spectacle de la mort, le parcours de Jimmy se mue en expiation symbolique, plus ou moins sur le mode #MeToo. Et pourtant, malgré le peu d’extravagances à l’horizon, l’intérêt du spectateur demeure.
Tirée du roman autobiographique « In with the Devil : a Fallen Hero, a Serial Killer, and a Dangerous Bargain for Redemption » de James Keene et Hillel Levin, la mini-série "Black Bird" est disponible sur la plateforme Apple TV.