- Auteur : Philip Kerr
Le romancier Philip Kerr n’est plus. Petit article hommage...
Kerr était connu pour ses polars historiques « modernes », permettant de faire revivre à ses lecteurs, de manière réaliste et documentée, une partie de la vie quotidienne et policière sous le IIIème Reich et au-delà, tout en composant un récit rythmé à la manière contemporaine, faisant de l’Allemagne du XXème siècle un laboratoire à ciel ouvert des passions humaines.
Bernie, hommage assumé au personnage de Philip Marlowe
Le succès, Philip Kerr le connut grâce à son personnage de Bernhard (dit « Bernie ») Gunther, hommage assumé au personnage de Philip Marlowe créé par Raymond Chandler, privé californien transposé et modifié en enquêteur de la Kripo, la police criminelle allemande, à l’orée de la prise de pouvoir des Nazis.
Ce héros ambivalent et emblématique apparaît pour la première fois dans March Violets (traduit en français par L’Été de Cristal), premier volume de l’oeuvre fondatrice de Kerr, connu en France sous le nom de La Trilogie Berlinoise. Ayant participé à la Première Guerre mondiale, cette expérience imprimera sur lui une solide dose de cynisme et de désabusement, traits de caractère indissociables de ses tribulations de grand solitaire. Opposé au nazisme, s’en éloignant tant que possible mais pris à titre personnel dans les tourments de l’Histoire, qu’il vit souvent comme un témoin de première main, personnage à la moralité équivoque, Bernie enquête sur des morts particulières à l’heure des assassinats de masse.
Un auteur "littéraire"
Philip Kerr fait partie de ces auteurs de polar dits « littéraires » et des tout des premiers vendeurs de livres du genre, de ceux qui trouvent ses lecteurs davantage en librairies de 1er niveau (les plus grandes librairies dites « indépendantes ») que dans les autres canaux de distribution, incongruité pour un auteur de polars bestellers qu’il partage avec une poignée de romanciers comme John Le Carré. Avec ce dernier il a aussi en commun des récits où le genre policier (on suit les périgrinations d’un enquêteur) fraie avec l’Histoire et les jeux des Puissances, où le parcours particulier et les choix qui se posent à un homme se confrontent à la fatalité, l’espionnage et la raison d’État.
En France, le succès critique n’a pas été concomitant au succès public. Publié par Le Masque dès 1993 et solidement apprécié et soutenu des critiques et amateurs de « noir », il ne rencontra un large public qu’au tournant des années 2010, profitant d’ingénieuses et inlassables remises en avant de son éditeur, pour être finalement couronné du populaire Prix des Lecteurs du Livre de Poche en 2010. Devenu depuis une valeur sûre des meilleures ventes du genre, il fit en 2017 une infidélité à son éditeur de toujours... pour suivre son éditrice, aux éditions du Seuil (Les Pièges de l’exil puis Bleu de Prusse en 2018).
La fidélité, son grand sujet
La fidélité, c’est le grand sujet implicite de cet Écossais qui estimait dans une interview au Monde que son pays était un « endroit misérable, noir, traumatisant ». Comment en effet, romancer l’Histoire sans trahir ? Comment rester fidèle à des valeurs morales quand tout s’effondre autour de nous ? Kerr estimait que ses compatriotes « n’aiment rien tant que la mort, la souffrance et l’hypocrisie. » On ne se fera pas ici juge des Écossais, mais c’est en tout cas les thématiques que Kerr interrogeait avec talent dans ses romans.