Suspense, action, tension… B.R.I. manie en maestro les codes du polar. Mais son plus grand talent d’écriture, la série le déploie surtout dans l’admirable consistance de ses personnages. En émane une énergie folle et disons-le, assez irrésistible.
B.R.I. : enfin une série policière subtilement incarnée !
De : Jérémie Guez
Avec : Sofian Khammes, Ophélie Bau, Théo Christine, Rabah Naït Oufella, Waël Sersoub
Genre : policier, thriller
Pays : France
Année : 2023
À la BRI Versailles, unité antigang, Saïd prend la tête d’une équipe composée de jeunes flics d’élite aussi intrépides que compétents. Cet ex-membre des forces spéciales succède à Patrick, chef précédé par la réputation qui a forgé son mythe de policier en s’associant pendant 20 ans avec Éric, dirigeant d’un clan de la pègre parisienne. Saïd doit alors trouver sa place au sein de son groupe, sceptique à son encontre, tout en évitant qu’une guerre de gangs ne se déclare entre la famille d’Éric et celle des frères El Hassani. Mission d’autant plus épineuse que Patrick semble bien résolu à revenir au premier plan si Saïd refuse de prendre parti dans ce règlement de comptes susceptible d’embraser le tout-Paris…
Le réalisateur et scénariste Jérémie Guez ("Sons of Philadelphia", "Kanun, la loi du sang"…) passe au format sériel avec B.R.I., mini-série estampillée Canal + suivant une unité antigang de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Versailles. Dans ce polar rythmé aux personnages très travaillés, on reconnaît d’entrée de jeu son style singulier, avec sa mise en scène à la fois inspirée et sans chiquée. La dynamique poétique de "Kanun, la loi du sang" (2022) passe au second plan à des fins d’efficacité narrative, mais la plupart des composantes de son cinéma restent bien présentes dans "B.R.I." : la sensibilité des personnages sinon leur intimité, les plans de coupe atmosphériques, le sous-texte social ou moral… Cela, sans jamais que la mini-série n’adopte une identité auteurisante trop contemplative ou poseuse. Et pour cause : avec B.R.I., Jérémie Guez ne s’embarrasse d’aucune fioriture, privilégiant la simplicité pour aller droit au but. Le cinéaste préfère l’authenticité voire la sincérité à l’ostentation. À rebours de l’épate, le choix de la caméra à l’épaule insuffle de l’énergie et de la profondeur à sa série. Il ne s’agit pas là seulement de renforcer l’immersion du spectateur – l’action reste d’ailleurs assez résolument au second plan dans "B.R.I." – mais plutôt de rendre les protagonistes plus humains et vulnérables. Comme si ces derniers, malgré leurs compétences pointillistes de policiers d’élite, pouvaient à tout moment vaciller comme la caméra.
Car la mini-série "B.R.I." déconstruit minutieusement les stéréotypes éculés autour des membres de la brigade de recherche et d’intervention (BRI). L’unité n’apparaît plus ici, comme c’est trop souvent le cas à travers les films et séries, telle une déferlante implacable, cortège s’infiltrant arme en mains au gré d’un silence religieux et d’une gestuelle millimétrée pour neutraliser une cible. Bien au contraire, la série prend le temps de faire tomber les masques et donne de la consistance à cette Hydre de Lerne habituellement inflexible. Vanessa, Julien, Badri, Socrate, Saïd… tous les maillons de l’escouade apparaissent chacun à leur manière en proie au doute, solides et tenaces mais possiblement sujets à défaillance. C’est que l’âme des protagonistes, entre fragilité et ténacité, prévaut toujours sur le fantasme d’une machinerie infaillible. Composante que la mise en scène, entièrement au service de cette vérité et même jusque dans son instabilité, traduit d’une manière remarquable. Ce désir de filmer le quotidien harassant des personnages, cet équilibre précaire entre vies privée et professionnelle, Jérémie Guez fait en sorte de le capter à chaque instant.
À peine le temps de sortir une pizza du four que Patrick, l’ex flic à la tête de la BRI de Versailles, reçoit un coup de téléphone. Il compose aussitôt, toujours dans sa cuisine, un code sur un coffre-fort pour en sortir son arme à feu, avant de partir au travail en urgence. Le télescopage entre l’intimité des personnages et l’exercice de leur fonction occupe ainsi une place centrale dans B.R.I.. C’est même peut-être au gré de tels chevauchements et débordements que la série livre ses scènes les plus touchantes ou originales. De sa vie professionnelle, Badri n’en touche mot à sa mère ou à son cousin, aussi bien pour les protéger que pour échapper à leur jugement. En s’asseyant sur le canapé du salon, il cache son arme de fonction par-dessous un coussin, puis l’en sort quelque temps plus tard en pleine conversation sans que personne dans la pièce ne s’en aperçoive. Il pourrait s’agir d’un simple détail secondaire, mais cette préservation pulsionnelle et automatique du secret fascine et trouble. Comme si le visible et l’invisible, les sphères personnelle et impénétrable, devenaient pratiquement pour Badri consubstantielles. Cette inclination pour la précision et la subtilité font de "B.R.I." une série à part. Notons à ce titre que cette vraisemblance ne sort pas de nulle part, le réalisateur Jérémie Guez ayant suivi une brigade des nuits entières sur le terrain afin d’étoffer son scénario.
Sans jamais perdre de vue la dynamique « polar sous tension » - la série consacre en effet aussi bien l’action que le suspense, avec tout ce que cela implique de descentes, de poursuites, de grosses voitures ou encore de filatures –, "B.R.I." se démarque donc par sa délicatesse et son sens accompli de la psychologie. Qu’importe alors le classicisme de son scénario quand une telle débauche de détermination nourrit le jeu de chacun. Dans la rue, à la salle de sport, en réunion au bureau ou en pleine mission, les protagonistes, tous attachants, semblent plus vrais que nature. À tel point, souligneront quelques-uns, que les dialogues – souvent incisifs et très réussis – manquent peut-être quelquefois légèrement de clarté dans l’élocution. Anicroche secondaire qui renforce toutefois la crédibilité de la série et sa spontanéité. Or, cette incarnation sidérante de "B.R.I." – bien plus percutante par exemple que dans "Cœurs noirs" – ne serait rien sans ses interprètes, tous excellents et trop rarement croisés au cinéma ou à la télévision. Il en va ainsi des formidables Sofian Khammes, Ophélie Bau, Waël Sersoub (déjà brillant dans "Kanun, la loi du sang"), Théo Christine ou encore Rabah Naït Oufella. Mention spéciale enfin côté mise en scène pour le choix judicieux des décors, cadres et cadrages de la série, qu’ils soient nocturnes ou diurnes. Éléments qui nourrissent admirablement l’atmosphère, lui apportant sa particularité et sa rareté.
Mini-série en huit épisodes, "B.R.I." est diffusée par Canal + depuis le 24 avril 2023.