- Réalisateur : Clint Eastwood
- Acteurs : Anthony Sadler, Alek Skarlatos, Spencer Stone, Jenna Fischer
Retour sur le thriller mal aimé de Clint Eastwood tiré des événements du 21 août 2015 et notamment de la tentative d’attentat à bord du Thalys 9364. Un film loin de la banalité qu’on lui attribue si souvent.
Toute la carrière d’Eastwood pourrait se résumer à un flash-back. Un flash-back convoqué pratiquement film après film. Pourquoi ? Parce que le présent des protagonistes - notre présent, bien souvent - ne peut être compris ou interprété qu’à l’aune du passé. Mieux : il faudrait nécessairement déconstruire le passé, remettre en question les certitudes et faux semblants du présent pour réinvestir le réel qui se déploie sous nos yeux. Ce dispositif de dévoilement, d’exégèse quelque part, était prégnant et fascinant dans Sur la route de Madison, Mémoires de nos pères, L’Échange (…) Il se perpétue cette fois avec une faconde parfois poussive mais néanmoins fructueuse dans Le 15h17 pour Paris. Comme souvent, Eastwood explore donc les zones d’ombre de ses personnages, leur part d’inconnu.
Cet angle mort, le réalisateur le trouve essentiellement à travers la trajectoire de Spencer Stone, l’un des trois soldats américains ayant permis d’empêcher l’attentat du 21 août 2015. Il faut dire que cette neutralisation du djihadiste Ayoub El Khazzani, alors armé d’une kalachnikov et muni de neuf chargeurs pleins, n’a rien d’anodine. Il s’agit ainsi pour Eastwood de comprendre ce qui dans l’enfance et l’adolescence de Stone (mais aussi dans celle de Skarlatos et Fischer, camarades depuis leur tout jeune âge) a pu prédéterminer l’acte de bravoure à bord du Thalys 9364. Il passe à cet effet en revue chaque détail de la vie du soldat (son parcours scolaire mouvementé, ses rencontres, les hasards l’ayant amené sur la voie qui est la sienne…), pour y sonder l’élément crucial. Parfois peut-être un peu stérile et insignifiante, cette quête d’héroïsme sur le mode de l’effet papillon ne distille pas moins une certaine tendresse et un humanisme profond.
Là où beaucoup ont cru percevoir un unique élan républicain de la part du metteur en scène, il est plus question ici d’un portrait sensible d’un jeune homme ordinaire devenu extraordinaire. L’allégorie religieuse du sauveur apparaît certes avec trop d’évidence et de lourdeur (mais beaucoup moins que dans American Sniper, vision par ailleurs xénophobe très bien reçue par la critique). Il n’empêche : Eastwood prolonge ici avec Le 15h17 pour Paris tous les horizons humanistes qui constituent son œuvre depuis toujours. Une détermination qui pèse bien plus dans l’équation que le présupposé patriotisme qu’on s’efforce trop souvent de traquer dans ses films. La reconstitution (notamment la séquence de la Légion d’honneur) minutieuse plaide sans doute en sa défaveur. Mais ce souci de fidélité, au contraire, fascine par son brio.
Plus que l’attaque avortée du Thalys, aussi intense et acérée soit-elle avec son découpage inventif et son déroulé suspendu entre passé et présent, c’est l’effet de réel qui saisit. D’autant que les trois hommes ayant permis de déjouer l’attentat (Spencer Stone, Anthony Sadler et Alek Skarlatos) interprètent eux-mêmes leur personnage. Un choix risqué dont découle une expérience singulière et étonnante. Du récit d’une amitié solide à la pirouette contre l’adversité, Clint Eastwood signe avec Le 15h17 pour Paris une œuvre non essentielle mais qui ne trahit absolument pas la philosophie de son cinéma, bien au contraire.
Disponible sur Netflix et en VOD sur sur Canal VOD ou encore UniversCiné, Le 15h17 pour Paris est adapté du roman éponyme d’Anthony Sadler.