- Réalisateur : Henri-Georges Clouzot
- Acteurs : Bernard Blier, Suzy Delair, Louis Jouvet, Jenny Lamour
Découvrez l’une des plus grandes trilogies criminelles et sociales du genre.
Aussi intransigeants et implacables que leur créateur sont les polars de Clouzot. En voici trois qui forment, d’une certaine façon, l’une des plus grandes trilogies criminelles et sociales du genre.
Les sources ont beau manqué, si l’inspecteur de La Panthère Rose (Blake Edwards, 1963) interprété par Peter Sellers se nomme Jacques Clouseau, c’est qu’il tient son patronyme d’un des maîtres du thriller hexagonal : Henri-Georges Clouzot. C’est qu’Edwards, le réalisateur de Diamants sur canapé (1961), ne s’y était pas trompé en choisissant d’attribuer à son bras cassé de héros policier une version parodique portant le nom du « Hitchcock français ». Car il faut bien voir que Clouzot et le thriller-polar ne font qu’une seule et même entité. Au même titre qu’Hitchcock dans sa période la plus expressionniste, le réalisateur élabore chacun de ses plans comme un cadre où chaque détail ou forme est réfléchi et structurant – une dynamique à la fois obsessionnelle, virtuose et toujours aussi moderne près d’un siècle plus tard. Au-delà de l’esthétique, son univers s’illustre par sa noirceur intrinsèque où chaque personnage se retrouve infailliblement à flirter avec les extrêmes limites de la morale – le plus typique représentant de ce dispositif étant peut-être son film Le Corbeau (1943).
Comme nous avons déjà évoqué ici Les Diaboliques (1955), thriller estomaquant où chaque protagoniste voit son innocence réduite à la putrescence, de même que là le road-movie psychologique culte Le Salaire de la peur (1953) – dont Friedkin fera un remake, Le Convoi de la peur (1977) –, jetons un œil sur trois de ses autres polars, tous remarquables.
L’assassin habite au 21 (1942)
Dès L’assassin habite au 21, son premier film, le cinéaste adapte le roman policier du belge Stanislas-André Steeman. Le résultat – quasi expérimental par son style – est un jeu de piste truffé de trompe-l’œil et d’embûches, avec sa pirouette finale à la fois astucieuse et torturée. Suzy Delair, en maîtresse tapageuse, y incarne l’un des seuls protagonistes pourvus d’un minimum d’humanité.
Ici plus que l’histoire, c’est l’atmosphère de soupçon général de la France occupée, presque aux frontières du réel, entre humour et enfer, qui emporte tout. Comme dans tous les autres films de Clouzot, ne restent finalement plus, pour combler les vides qui séparent les individus, que l’effroi et l’inimitié.
Avec le recul, on peut considérer que L’assassin habite au 21 amorçait une trilogie criminelle et sociale de la France des années 1940, quelques années après parachevée par Le Corbeau et Quai des Orfèvres.
Le Corbeau (1943)
Avec Le Corbeau, Clouzot va plus loin en montrant comment le diable hante chaque personnage, qu’ils soient victimes, tortionnaires, anges ou monstres. Partant d’un fait divers s’étant déroulé en Corrèze en 1922, le cinéaste livre une sorte de conte moral où le peuple se voit contraint de juger ses propres actes, d’examiner ses propres démons sans pouvoir les justifier à travers l’existence d’un diable qui lui serait extérieur. Ainsi, tous les personnages dans Le Corbeau sont présentés comme des âmes damnées. Il y a quelque chose du Fritz Lang de M le Maudit (1931).
La mise en scène, foudroyante de perfection, trouve l’un de ses points d’orgue lorsque Vorget affronte Germain et que le balancement d’une ampoule dessine un clair-obscur mobile illustrant toute l’ambiguïté morale du film. Résistera aux flammes de la rumeur celui ne se brule pas à l’ampoule, ou acceptant d’en recevoir successivement l’ombre et la lumière. Magistral.
Quai des Orfèvres (1947)
Un homme riche et puissant meurt dans des circonstances étranges et une enquête s’imbrique autour. Si, comme la plupart des œuvres de Clouzot, Quai des Orfèvres se révèle sombre et hanté par la fatalité, quelque chose d’un peu plus optimiste s’en dégage : tout le monde ment, certes, mais cela en définitive souvent afin de sauver la personne qu’ils aiment. S’il pousse indirectement au crime, l’amour a le mérite néanmoins d’exister ici – cet aspect transite peut-être en filigrane à travers toute l’énergie et les mouvements d’appareils du long-métrage. Reste bien entendu tout au plus un soleil noir, Clouzot oblige.
Habile pour représenter plastiquement les conflits intérieurs de certains protagonistes, le clair-obscur dessiné par la photographie d’Armand Thirard – superbe – donne lieu à quelques instants immortels du cinéma. Toujours côté mise en scène, est à noter l’une des métaphores sexuelles les plus cultes du septième art avec la scène du lait qui déborde, tandis que Jenny Lamour (irrésistible Suzy Delair) aguiche son Maurice de mari (Bernard Blier). Mention spéciale pour Louis Jouvet, insatiable et stupéfiant de maestria dans la seconde partie du film.