- Acteurs : Anna Torv, Pedro Pascal
Chronique d’une tuerie télévisuelle !
The Last of Us
De : Neil Druckmann, Craig Mazin
Avec : Pedro Pascal, Bella Ramsey, Anna Torv, Gabriel Luna
Pays : Etats-Unis
Année : 2023
Par sa virtuosité narrative envoûtante, ses personnages d’une furieuse authenticité et ses visions chaotiques troublantes, The Last of Us s’impose comme une série à suspense fondamentale. Au détour des pauses contemplatives et des sursauts fulgurants, le génie de Naughty Dog triomphe de nouveau, cette fois distillé par HBO.
Dans un monde décimé par une étrange pandémie, Joel et Ellie, deux êtres aussi discordants qu’indissociables, traversent les Etats-Unis. Sur leur route tortueuse, fourmillent les dangers et tourments…
Si la série "The Last of Us" se distingue du polar, il en va autrement du thriller et du survival – deux composantes essentielles sublimées par cette adaptation du jeu vidéo éponyme de Naughty Dog initialement sorti en 2013 sur PS3. Hybridation oblige, le décloisonnement du genre post-apocalyptique auquel la série appartient se justifie dès lors ici assez facilement. Car emprunte de suspense avant tout – même pour les joueurs ayant parcouru le scénario d’origine –, "The Last of Us" vaut à de nombreux égards pour sa tension psychologique, son lyrisme et son mystère.
Piloté par Neil Druckmann (coprésident de Naughty Dog et tête pensante de la saga vidéoludique "The Last of Us") et par le showrunner Craig Mazin ("Chernobyl", 2019), cette transposition HBO du jeu vidéo culte apparaît d’une fidélité plutôt époustouflante. Si le scénario s’autorise bien quelques nuances - les spores du Cordyceps, le fameux virus responsable du carnage, sont par exemple remplacées par des filaments velus, tandis qu’une sorte de conscience partagée semble désormais relier les individus contaminés –, la direction artistique, le jeu des acteurs, la musique et la délicatesse inhérentes au matériau d’origine demeurent bien de la partie. Ces similitudes, parce que trop faciles ou prévisibles, auraient pu s’avérer rédhibitoires ou trop chiches pour les spectateurs ayant déjà exploré le jeu vidéo originel. Sauf que Mazin et Druckmann, grâce à de fascinants flaschbacks ou par le biais de remarquables pas de côté, parviennent formidablement à captiver et garder le secret. Il faut dire que le jeu vidéo "The Last of Us", par ses ellipses et sa pudeur, constitue un terreau d’une fertilité inouïe.
Presque aussi subjectifs que les séquences liminaires du jeu, avec des plans et des environnements collant parfaitement avec les phases d’action originales, les deux premiers épisodes de "The Last of Us" affichent une rigueur de métronome. À travers les yeux de Joel, de sa fille ou encore d’Ellie, on observe avec désenchantement une humanité déliquescente piégée par l’adversité et le péril, avant de contempler ses ruines. Plus que les créatures monstrueuses possédées par le funeste champignon endémique, c’est le vertige des survivants face à la dévastation qui méduse. La justesse, l’effroi et la précision s’y révèlent sans appel, laissant subodorer une saison pour autant peut-être un peu trop rectiligne, en dépit d’une maîtrise absolue tant visuellement que du côté de l’écriture et des acteurs. Puis déboule le troisième épisode sous un angle pour le moins inattendu, emprunt d’une modestie et d’une sincérité virtuoses. Aussitôt, la série prend une tout autre dimension, plus complexe, plus poétique et plus réflexive.
Si le troisième épisode de "The Last of Us" émeut et subjugue autant, c’est qu’il prend le parti de désamorcer la tautologie du fatalisme si chère à "Walking Dead". Bien sûr, l’horreur se trouve partout dans "The Last of Us", au détour d’un couloir – en témoigne avec maestria l’amorce presque ontologique du troisième épisode – ou auprès d’un badaud. En proie à un cataclysme mondial, le genre humain n’en finit plus de disparaître, balayé à la fois par une pandémie foudroyante et par l’hostilité paranoïaque qui hante désormais tout un chacun. Et pourtant, persiste au mépris de la noirceur et de la panique chronique la possibilité d’un amour ou d’une tendresse. La rencontre déterminante entre Bill et Frank (géniaux Nick Offerman et Murray Bartlett) – en miroir de l’affection possible entre Joel et Ellie – l’atteste avec une intelligence renversante. Alors que le scénario fait mine de retracer la trajectoire des personnes anéanties iniquement par le gouvernement autoritaire de transition, il bifurque aux côtés d’un protagoniste a priori peu séduisant : Bill, survivaliste jusqu’au-boutiste. Sauf que ce dernier, rejoint par un sinistré du nom de Frank, se révèle finalement doux, empathique, profond et d’une extrême sensibilité – là réside tout le génie du titre « Long Long Time » de Linda Ronstadt qui unit les personnages. Pour vivre leur amour, les deux hommes devront toutefois construire des barrières et se défendre. Parce que le malheur n’est jamais loin.
En plus de dessiner une romance déchirante entre deux hommes comme peu de films ont dernièrement su le faire, le sous-texte politique de ce troisième épisode de "The Last of Us" dépasse les stéréotypes. Le temps de deux décennies ramassées en à peine une heure, l’Amérique devient terre des possibles par-delà les pires écueils. Elle n’est alors plus seulement cet espace terrassé par les dissensions politiques, gangréné par les préjugés racistes et par les polarisations de toutes sortes. Et même si ces spectres-là guettent indiscutablement, les individus – tout au moins quelques-uns – apparaissent dépeints comme des êtres capables, avec persévérance, de vivre en harmonie en dépassant leurs différences. Sans nul doute, l’angoisse menace toujours et la tension demeure tapie hors-champ. Mais par ces pauses contemplatives laissant pratiquement à distance le désespoir et la mort, "The Last of Us" dit quelque chose du paradoxe de notre monde contemporain. L’occasion aussi d’esquisser des personnages d’une épaisseur et d’une multiplicité extraordinairement rares – pas si loin en un sens de la vivacité bouleversante d’une série comme "The Leftovers" (Damon Lindelof, Tom Perrotta, 2014-2017).
Sans briller par son symbolisme ou sa singularité – là n’est pas son enjeu –, la mise en scène très influencée par les brillantes cinématiques du jeu vidéo "The Last of Us" se montre très solide – le final de l’épisode 3 est splendide. Les rôles-titres Joel et Ellie incarnés par Pedro Pascal et Bella Ramsey sont quant à eux remarquables – mention spéciale pour Ramsey qui, malgré l’absence de ressemblance physique avec le personnage du jeu, campe une Ellie plus vraie que nature (intonations de voix, postures, réparties). Le scénario, Naughty Dog oblige, est saisissant et poignant. Quant à la musique du compositeur argentin Gustavo Santaolalla, elle reste à l’image des partitions qu’il a déjà composées pour le jeu original : lumineuses. De fait, Druckmann et Mazin réalisent un coup double : composer un thriller d’aventure aussi passionnant qu’angoissant et ambigu, tout en offrant au jeu vidéo – chose rarissime – une adaptation aussi terriblement riche que lucide.
Influencé notamment par le roman "La Route" de Cormac McCarthy (adapté par John Hillcoat en 2009) et tirée d’un jeu vidéo culte, la série "The Last of Us" est disponible sur Prime.