- Réalisateur : Matt Reeves
- Acteurs : John Turturro, Colin Farrell, Jeffrey Wright, Paul Dano, Zoë Kravitz
- Distributeur : Warner Bros France
À mi-chemin entre la fantaisie et le réel, The Batman s’avère peut-être l’un des meilleurs épisodes de la série consacrée au chevalier noir. C’est aussi certainement le volet le plus fidèle, et donc le plus axé polar/thriller, quelque part au croisement du cinéma de Fincher et des jeux vidéo du studio Rocksteady…
Pour illustrer la névrose de Carlotta dans Vertigo, Hitchcock s’était contenté du symbole d’un chignon en vrille - chevelure blonde enroulée comme un tourbillon. Le cinéaste Matt Reeves procède de la même manière dans The Batman, lorsqu’il insiste à plusieurs reprises sur le dos noueux de Bruce Wayne / Robert Pattinson en gros plan. Façon d’allégoriser le dédale mental qui hante le personnage. Sans jamais effleurer le minimalisme de génie du pape du suspense, Reeves et ses équipes créent néanmoins quelque chose d’assez singulier. Cette nouvelle itération de l’homme chauve-souris plonge ainsi résolument à travers le film noir et le polar, avec un protagoniste central aussi désabusé que psychologiquement fragile.
En dessinant une sorte de post-ado totalement torturé à la Kurt Cobain, quitte à convoquer régulièrement la légende de Seattle aussi bien dans l’attitude grunge globale (y compris la Batmobile) que via la musique (« Something in The Way »), l’écriture ne fait pas vraiment dans la subtilité. Il y a du The Crow dans la posture générale et dans le côté poseur assumé - en plus solide et réjouissant toutefois. Comme bouclée en quelques coups de crayon, la psychologie du justicier masqué manque certes de nuances et d’aspérités, disons, de données tangibles. Ceci dit, le caractère intrinsèquement suffisant et affecté du film, son côté monolithique - pas autant que chez Nolan, ce serait difficile -, ne joue pas tout à fait en sa défaveur. Cela participe aussi à son mystère, constituant ainsi un hors-champ fascinant au gré des ellipses et non-dits. Sans être parfait - la faute à quelques longueurs et à une structure trop rigide et classique -, The Batman se pose tout de même comme un très bon thriller. Une réussite qu’il puise dans les comics originaux, mais pas seulement.
Exit le triptyque mystico-philosophico-politique de Nolan, plus tourné vers le réel (société post-11 septembre) que la fantaisie du comics, The Batman revient partiellement aux sources. Sans tourner le dos au présent d’une Amérique sclérosée ou d’un monde où Bien et Mal ne se distinguent plus, le film de Matt Reeves retrouve ainsi le héros originel, plus schématique tout en restant profond. On ne bascule pas complètement dans le fantastique comme dans les versions de Tim Burton (Batman et Batman : Le Défi), mais on se tient dans un entre-deux savamment dosé. Crépusculaire et rougeoyante, l’atmosphère de Gotham City donne autant l’impression d’évoluer dans la ville imaginaire de "Se7en" - il y a pas mal de David Fincher dans The Batman - que dans les adaptations vidéoludiques de Rocksteady (surtout "Batman : Arkham Knight"). Ce jeu vidéo et les thrillers du papa de Zodiac, aussi bien à travers la direction de la photographie, la colorimétrie qu’au niveau de l’écriture, semblent avoir eu une influence décisive. Ce qui procure à The Batman une tonalité assez mature, et le rend parfois passionnant, notamment dans le fil de l’enquête. Dans la peau d’un détective (ce qu’il est par-dessus tout dans la bande-dessinée) plus que d’un super-héros - si tant est que les deux ne soient pas finalement très proches -, ce Bruce Wayne sonde les preuves et indices avec la même obsession que ses démons (le fameux traumatisme lié au décès brutal des parents).
On s’attache assez vite à l’univers de ce The Batman et à ses protagonistes, même si Catwoman, Alfred ou encore Jim manquent cruellement de substance. Pas que les acteurs ne soient pas au niveau, bien au contraire, mais la finition fait pâle figure en comparaison par exemple des traits de caractères des personnages revus et corrigés par Burton. Seul le Pingouin, à la rigueur, malgré son minimalisme, s’en sort avec les honneurs. Dommage aussi que le scénario, trop simpliste au fond, ne trouve pas un dénouement plus palpitant et politique - le Mal s’introduit partout, so what ?. La mise en scène et la photographie, plutôt luxueuse avec tous ses plans larges pointillistes et souvent impressionnants artistiquement, relèvent cependant largement le niveau. De quoi permettre, en dépit de quelques petites faiblesses, à The Batman de s’imposer comme un polar solide et un volet mémorable, sinon inoubliable, des aventures du plus grand détective du monde.