N°2 au palmarès des meilleurs livres du crime organisé selon BePolar
- R�alisateurs : Matteo Garrone - Stefano Sollima
- Auteurs : Umberto Eco, Roberto Saviano
- Editeurs : J’ai lu, Editions Gallimard, Folio
Certains livres peuvent changer le monde. C’est le cas de Gomorra, le passionnant roman-enquête de Roberto Saviano. Il décrit en détails la vie souterraine de la Camorra, la puissante mafia napolitaine. Une « pieuvre » bien plus puissante, organisée et rationnelle que son image de fiction, organisée comme les plus modernes et productives des entreprises. Un texte indispensable et référent qui fait froid dans le dos, véritable phénomène de société en Italie, où il généra un vrai élan sociétal (manifestations, lectures dans les écoles…).
L’histoire :
« Ce ne sont pas les camorristes qui choisissent les affaires, mais les affaires qui choisissent les camorristes. La logique de l’entreprenariat criminel et la vision des parrains sont empreintes d’un ultralibéralisme radical. Les règles sont dictées et imposées par les affaires, par l’obligation de faire du profit et de vaincre la concurrence. Le reste ne compte pas. Le reste n’existe pas. Le pouvoir absolu de vie ou de mort, lancer un produit, conquérir des parts de marché, investir dans des secteurs de pointe : tout a un prix, finir en prison ou mourir. Détenir le pouvoir, dix ans, un an, une heure, peu importe la durée : mais vivre, commander pour de bon, voilà ce qui compte. Vaincre dans l’arène du marché et pouvoir fixer le soleil. » Gomorra explore Naples et la Campanie dominées par la criminalité organisée, sur fond de guerres entre clans rivaux et de trafics en tout genre : contrefaçon, armes, drogue et déchets toxiques. C’est ainsi que le Système, comme le désignent ses affiliés, accroît ses profits, conforte sa toute-puissance et se pose en avant-garde criminelle de l’économie mondialisée. Mais c’est aussi l’histoire intime de Roberto Saviano, qui est né sur ces terres et a choisi l’écriture pour mener son combat contre la Camorra.
Pourquoi ce livre est important :
Dans Gomorra, Saviano met la mafia à nu : loin des clichés hollywoodiens, loin du romantisme de la fiction, le jeune journaliste (il a 27 ans à la sortie du livre) propose un reportage qui se lit comme un roman. Un mystérieux narrateur décrit les méthodes, l’organisation, les investissements d’une Camorra gérée comme une multinationale du crime. Expliqué simplement, les enjeux économiques et les choix de diversification de la mafia, les relations des différents protagonistes (salariés, patrons, fournisseurs) semblent d’une logique imparable.
Saviano lève également le voile sur une structuration très moderne, de style capitaliste, qui s’adapte très rapidement à son environnement, ses opportunités et ses contraintes. Ainsi nul besoin d’une organisation hiérarchique pyramidale, les clans s’unissent et se séparent pour des actions crapuleuses ou dans des relations de business opportunistes qui minimisent les risques de poursuites judiciaires ou de démantèlement. A cette très efficace gestion s’ajoute une logique quasi-militaire qui rend le crime organisé implacable et redoutable…
Loin de l’image d’hommes d’honneur, loin des coups fumeux, loin de la vie risquée et aventureuse, les camorristes apparaissent comme les froids gestionnaires d’un segment de business, les activités illégales, somme toute mondialisées bien avant l’heure. Tout y est marchandise et source de profits, sans aucune considération pour la vie humaine : stupéfiants, armes, contrefaçons, produits chimiques et même êtres humains. Les chefs d’entreprises y sont rançonnés, obligés d’employés les services du « Système », incontournable, ou offrant tout simplement des prix défiants toutes concurrence car en dehors de toutes normes sociales , de sécurité ou d’impôts.
Profondément enracinée dans le système économique de la Campanie (région de Naples), la Camorra est présente dans l’industrie textile de luxe, la gestion des déchets, le trafic d’arme international fournissant les pires groupes terroristes ou rebelles et bien d’autres activités encore. Ces pratiques généralisées rendent sa judiciarisation très complexe, les magistrats et enquêteurs sont désarmés vis-à-vis de ces groupes qui font vivre des pans entiers de l’économie, bien que les réels bénéfices soient accaparés par une poignée d’hommes.
Les mafieux de Saviano sont ainsi un brillant mélange de capitalistes cyniques et de malfrats aguerris, un alliage détonnant et dangereux pour la démocratie.
C’est pour cela que le livre de Saviano est incontournable, salutaire : jamais autant depuis Le jour de la chouette de Sciascia un livre n’avait eu autant d’influence et d’implications sur la vie réelle. Les collusions des milieux économiques et politiques amènent une vraie prise de conscience et un début de riposte organisée. Les trafics sont mieux appréhendés, le terrain sociologique mieux décrypté.
Si Saviano agit comme un véritable lanceur d’alerte pour son pays, son cri d’alarme retentit partout en Europe, là où les responsables sont aveugles, de manière volontaire ou non, à l’emprise de la pieuvre sans âme : blanchiment massif des gains illicites dans l’industrie touristique espagnole, prise en main des très lucratifs trafics de stupéfiants qui après les États-Unis inondent l’Europe et bien pire. Si la France ou la Belgique ne sont pas évoquées, Saviano a affirmé ultérieurement que de larges pans de ces économies étaient déjà sous la coupe réglée des pires criminels.
Saviano, c’est le courage de l’indignation civile face à des pouvoirs installés à la limite de la tolérance criminelle. Silvio Berlusconi, dont les liens avec la mafia ont plusieurs fois été évoqués, a eu le culot éhonté de dénoncer Saviano comme un promoteur des gangs mafieux et de donner une mauvaise image de son pays. Plus récemment, le populiste Matteo Salvini, accusé d’être le « ministre de la Mala Vita » n’a rien trouvé de mieux que de menacer l’auteur de le suspendre toute protection policière, c’est-à-dire de le livrer à la vengeance quasi-certaine de la mafia. Gomorra est une œuvre de sursaut civil et de salut public !
Ce qu’il faut retenir (pour briller en société) :
1. La Camorra est le nom le plus utilisé par le système judiciaire et les journalistes pour évoquer la mafia napolitaine, la plus ancienne d’Italie, parois aussi appelée Onorata Società, parmi d’autres surnoms. Au sein des clans, on la désigne très souvent sous le vocable de « Système ».
2. Preuve de son retentissement, ce livre a été très vite adapté, tout d’abord dans un film réalisé par Matteo Garrone (2008), qui montre davantage le quotidien et la violence que l’aspect économique très développé dans l’enquête de Saviano. Lauréat du Grand Prix du jury au Festival de Cannes, ce film a été joué en majeure partie en dialecte napolitain. Suivront une série télévisée sous la direction de Stefano Sollima (2014) et une pièce de théâtre, co-écrite avec le metteur en scène Mario Gelardi.
3. Ayant nommément dénoncé des membres d’un clan et en raison de l’immense succès de son livre dans son pays, Roberto Saviano vit sous protection policière permanente. Honni par la mafia, il est considéré comme un héros par certains de ses compatriotes, au premier rang desquels l’immense écrivain Umberto Eco. Il a reçu en 2011 le PEN/Pinter International Writer of Courage Award.
4. Les liens entre la mafia et les entreprises vous intéressent ? Vous voulez éviter de soutenir le crime organisé en tant que consommateur ? On vous conseille la passionnante enquête de Jean-Baptiste Malet sur le trafic lié à la tomate, L’Empire de l’or rouge, récompensé du très prestigieux prix Albert-Londres.
Sonia Boulimique des Livres 28 avril 2019
#Mafia : « Gomorra » de Roberto Saviano
J’ai eu la chance de rencontrer Roberto Saviano lors des Quais du Polar 2019 à Lyon. Il m’a donné envie de découvrir son univers, cette Camorra qu’il dépeint dans ses romans, et qui lui a valu de vivre sous escorte policière. J’ai donc commencé par le roman qui a courroucé tous les parrains italiens….
Un documentaire intraitable et impitoyable. Roberto nous fait découvrir la face cachée de Naples, celle que l’on est bien loin de retrouver dans les guides touristiques. Le travail d’investigation est énorme, les témoignages recueillis minutieusement nous permettent de cerner le problème napolitain, et italien en général. J’étais loin de me douter de tout cela ! Je me suis pris une grande claque dans la tronche. La Camorra a des tentacules partout, dans tous les domaines. Il faut savoir qu’elle est l’organisation criminelle la plus puissante du monde.
La Camorra est active dans tous les secteurs de l’économie régionale napolitaine. Ses clans gèrent des trafics divers, la prostitution et les extorsions de fonds. Trafic de drogue, règlements de comptes, guerres de clans, ateliers illégaux, jeux clandestins, corruption des fonctionnaires, les domaines touchés sont considérables.
Ils sont également présents dans les offres publiques de chantiers, les adjudications et les activités liées à la dépense publique. Le chef de la protection civile a ainsi reconnu qu’ »en matière de gestion des déchets, la seule réalité gagnante est celle de la Camorra ». Cette gestion des déchets m’a d’ailleurs traumatisée, comme bien d’autres problématiques soulevées dans ce livre.
L’écriture est riche, détaillée à l’extrême, rendant la lecture complexe. C’est un livre qu’il ne faut pas lire pour se délasser. J’ai noté quelques longueurs et l’absence d’une véritable ligne conductrice, mais malgré tout j’ai apprécié cette lecture, qui s’est valu instructive et brutale. Moi qui affectionne les thrillers, là, c’est la réalité, et honnêtement, ça fait froid dans le dos. Roberto a eu énormément de courage, il faut avoir des c….. pour attaquer ces mafieux !
Un livre qu’il faut absolument lire. Édifiant, qui laisse des traces indélébiles dans le cœur du lecteur. Je ne vais pas m’arrêter là, je vais enchaîner sur les autres livres de Roberto.