- Acteurs : Christoph Waltz, Nat Wolff, Brittany O’Grady
Satire féroce du monde du travail, ce conte d’épouvante interroge la frénésie exsangue des managers, tout comme le mimétisme délétère qui en découle. Une comédie noire terrifiante et mystérieuse, portée par des acteurs ambigus sinon géniaux, de Christoph Waltz à Brittany O’Grady.
Le Consultant
De : Tony Basgallop
Avec : Christoph Waltz, Nat Wolff, Brittany O’Grady
Pays : Etats-Unis
Genre : thriller, comédie
Année : 2023
Suite à la mort brutale de son dirigeant, la société CompWare accueille un consultant impitoyable en attendant la désignation du nouveau directeur : Regus Patoff. Pour les employés, commence un véritable enfer…
Avec "Le Consultant", le showrunner britannique Tony Basgallop ("Being Human", "Servant"…) reproduit en obsessionnel sa recette fétiche, thriller au croisement de l’épouvante et tenté (sans tout à fait y céder) par le fantastique. En découle assez logiquement une série à suspense résolument sarcastique dont les protagonistes désemparés se mesurent à un antagoniste étrange – ici campé par un Christoph Waltz hanté et électrique comme à son habitude. Personnalité diabolique qui semble en mesure, grâce à son génie ou son pouvoir énigmatique – là réside tout le mystère de "Le Consultant" -, de mettre en lumière d’un seul regard leurs fragilités et hantises. Jusqu’à les rendre corvéables et obéissants à merci. Si le sous-texte de cette série au format court (30 minutes par épisode) s’en prend indiscutablement au capitalisme forcené et à la gestion inique des ressources humaines – on pense un temps au management de la terreur dispensé par les gourous à la Elon Musk –, son scénario déconcertant dit aussi quelque chose d’infiniment pertinent de la bizarrerie contemporaine. Espace insidieusement coercitif où des êtres innocents et candides finissent happés sinon aliénés en glissant dans les méandres d’un système qui les dépasse.
Tordue à souhait, cette adaptation d’un roman horrifique de Bentley Little (« The Consultant », 2015) navigue quelque part entre un thriller psychologique en entreprise façon "Corporate" (Nicolas Silhol, 2017) et une intrigue maléfique à la Clive Barker (on pense, en caricaturant un peu, à "Midnight Meat Train"). Il faut dire que quelque chose d’inexplicable flotte dans l’air tant rien ici ne demeure bien longtemps stable. Ce qui meut les personnages (cela vaut autant pour les principaux que les secondaires) risque ainsi de vaciller d’une seconde à l’autre. Comme si les déterminations de chacun (enfants, salariés, épouse…) pouvaient finir corrompues ou contaminées, déviant dès lors de leur trajectoire initiale. Or, l’élément pathogène à l’origine de cette contamination n’est autre qu’un certain Regus Patoff, auquel Christoph Waltz insuffle toute la perversité nécessaire, ou encore la magistrale et insupportable prestance. Tour d’équilibriste où l’acteur autrichien nous rappelle au souvenir des (irrésistibles) perfidies caressantes d’"Inglourious Basterds" (Quentin Tarantino, 2009). Le spectateur voudrait sourire face à ces voluptueuses fourberies méphistophéliques mais l’épouvante prend nettement le pas sur les quelques semblants d’hilarité. Résultat, les yeux et le flair infaillibles de Regus Patoff dessinent une torpeur à la fois orwellienne (des yeux partout) ou tout simplement haletante – de l’effroi, souvent.
Afin de créer cette atmosphère opaque et étouffante, "Le Consultant" s’en tient pourtant à quelques ingrédients seulement. Un open-space inquiétant et labyrinthique truffé de caméras, un appartement, un bar – certes, le champ s’élargit à de rares occasions pour dévoiler un Los Angeles fuligineux un brin maudit –… la série évite quoi qu’il en soit en conscience de multiplier les décors pour mieux illustrer à la manière d’un huis-clos le sentiment d’enfermement des personnages. Ne compte plus en définitive qu’une sorte de grande scène de théâtre enluminant l’affrontement entre Regus Patoff et les deux autres protagonistes centraux travaillant sous son joug chez Compware, start-up en vogue spécialisée dans les jeux vidéo mobiles : d’un côté Craig le codeur sceptique et insoumis, de l’autre Elaine l’assistante créative tiraillée entre une tentation très première de la classe, et un affranchissement presque jusqu’au-boutiste (l’attrait pour l’illégalité). Mais ce triangle infernal sur fond d’oppression tyrannique prend une tournure inattendue. Car la manière totalement décomplexée avec laquelle Regus Patoff exerce l’autorité au sein de l’entreprise (anéantir des départements entiers d’une seconde à l’autre, claquer la porte au nez – pour ne plus jamais lui ouvrir – à une femme en fauteuil roulant retardataire…) n’est pas sans effet. Si la mutinerie guette un temps aussi bien dans l’esprit de Craig, séditieux, que celui d’Elaine, plus mesurée et conformiste, l’arrivisme et la soif de pouvoir l’emportent. Comme si, une fois pris dans les mailles de l’aliénation, les héros positifs ne pouvaient exister dans "Le Consultant". Comme si leurs âmes disparaissaient à jamais, prises entre les griffes de quelques démons.
Plus remarquable que sa mise en scène – pourtant sobre et maîtrisée, avec ses patchworks constructivistes noirs et bleus très SF et comme synonymes d’inhumanité –, s’avère le trio de protagonistes inconciliables de la série. Alors que "Le Consultant" laissait supposer la domination sans partage de Christoph Waltz et de son jeu cabotin écrasant, l’acteur doit finalement composer avec le flegme de Nat Wolff et la gravité espiègle de Brittany O’Grady. Entre les trois personnages qu’ils incarnent, transite in fine la même résolution perverse – synergie pandémoniaque aux confins de l’humour noir. Toute l’énergie déployée par chacun – pour asservir ou au contraire se délivrer et préserver un semblant d’humanité – ne fait qu’accélérer inexorablement la contagion. En cela, les jeux de Nat Wolff et surtout Britanny O’Grady, qui d’un regard de son personnage parvient à communiquer l’impossibilité à choisir entre l’honnêteté et l’ambition, fourmillent de multiplicité et d’ambivalences. À cela s’explique l’une des plus grandes qualités (d’écriture et de direction d’acteurs) de "The Consultant". Un tableau qui n’est cependant pas dénué de défauts, notamment dans le final emberlificoté de la série, ou encore dans sa prétention un peu emphatique à l’universalité. Reste un divertissement souvent fascinant et passionnant.
Tirée du roman de Bentley Little "The Consultant" (livre recommandé par Stephen King), cette série éponyme est disponible sur la plateforme Prime.