Quelque part entre les séries "À la Maison-Blanche" et "House of Cards", "La Diplomate" rehausse son suspense et ses péripéties géopolitiques d’un humour mordant. En émane une série aussi pertinente que grotesquement angoissante.
La Diplomate
De : Debora Cahn
Avec : Keri Russell, Rufus Sewell, Ato Essandoh, Ali Ahn, David Gyasi, Rory Kinnear
Genre : thriller, espionnage, comédie
Pays : Etats-Unis
Année : 2023
Propulsée malgré elle au beau milieu d’une crise géopolitique de grande ampleur, une diplomate se retrouve du jour au lendemain ambassadrice des Etats-Unis en Angleterre. Un poste d’envergure qu’elle exècre et qui influe aussi bien sur son couple que son avenir politique…
Nul hasard si la scénariste Debora Kahn se trouve aux manettes d’une série à suspense et si résolument politique aussi percutante (et pertinente) que "La Diplomate". Déjà louée pour ses talents d’écriture au gré des séries "À la Maison-Blanche" (NBC, 1999-2006) – le bijou d’Aaron Sorkin – et "Homeland" (Showtime, 2011-2020), la showrunneuse n’en est plus à son coup d’essai question rebondissements géopolitiques. Fort de ce savoir-faire, "La Diplomate" fait donc souvent mouche côté scénario et contexte. Ce qui ne la prive pas cependant d’un certain sens du spectacle, lorsqu’elle délaisse le réalisme pour basculer dans la fiction (façon espionnage), la vraie. Car tout en s’avérant convaincant, le tableau politique n’en oublie pas l’extravagance et se permet même quelques originalités. Une dynamique singulière qui sourd notamment du caractère feuilletonnesque et un brin farfelu de "La Diplomate". Il faut dire que la série ne s’en tient pas à son intrigue politique et lorgne nettement vers la comédie en entremêlant crise internationale, carriérisme et romance houleuse.
Un peu à la manière d’une screwball comedy, le burlesque le plus théâtral déboule parfois dans les instants les plus inopinés. À ce petit jeu des faux-semblants, entre mensonges, sursauts de clairvoyance et arrivisme, le couple formé par Kate et Hal Wyler – excellents Keri Russell et Rufus Sewell – fait des merveilles. Et "La Diplomate" jongle habilement entre tous ces enjeux, oscillant entre les conciliabules sur fond d’ambition exacerbée, les scènes de ménage les plus délirantes et les problèmes de fond de la crise internationale. La guerre en Ukraine, la monotonie de Joe Biden (président William Rayburn), les provocations à la Boris Johnson (Nicol Trowbridge), les allusions à Trump et Bolsonaro sans jamais les nommer… la série glisse de nombreux détails éloquents, certes parfois clichés mais souvent cohérents et pétris d’humour. L’autre grand atout de "La Diplomate" repose sur son refus du réel : aussi crédibles s’avèrent les coups de théâtre, le show et la mise à distance l’emportent, quelque part façon science-fiction.
Contrairement à "House of Cards", autre série culte misant sur les intrigues politiques, sur les représailles et autres coups-bas machiavéliques, "La Diplomate" ne mise pas vraiment sur sa mise en scène. Du moins pas au sens d’un dispositif virtuose qui déborderait de mouvements de caméra sur-signifiants et d’architectures symboliques. Ici, aussi mobile apparaisse la caméra, elle sert surtout à accompagner les réflexions des Wyler et leurs atermoiements. Et point là-dedans d’artifices, tant le style confine au classicisme et demeure en retrait. Reste une singularité bienvenue toutefois : les scènes de "La Diplomate" donnent l’impression d’une gigantesque scène ouverte de théâtre. Où Kate Wyler, l’ambassadrice clé qui donne son titre à la série, se retrouve en permanence épiée par son équipe, ses gardes du corps, la C.I.A., son époux… À tel point que cette héroïne voit sa vie privée, son intimité et ses secrets fusionner avec sa vie professionnelle. Tout s’amalgame au fil d’un grand tohu-bohu aussi délirant qu’épineux – n’oublions pas que comme toute série géopolitique qui se respecte, "La Diplomate" suppose un minimum d’attention de la part de son spectateur pour livrer toute sa perspicacité. Grâce à ce système façon scène ouverte, la mise en scène parvient donc malgré tout à se démarquer et à briller, dans une certaine mesure.
On remarquera en outre que l’écriture de Debora Kahn, à la fois drôle et piquante, déconstruit autant les tics de la misogynie ordinaire qu’elle caricature jusqu’à l’absurde les automatismes pseudo-féministes inhérents à l’ère post #MeToo. Pas un hasard si les protagonistes les plus fascinants et brillants se révèlent ici être des femmes, à commencer par Kate et Eldira – par opposition au calcul et au suivisme des hommes, Hal, Austin, Nicol et Rayburn en tête. Sans rien révolutionner, "La Diplomate" fait ainsi talentueusement sien les codes du thriller politique, le tout cette fois mâtiné de comédie. Dialogues croustillants au scalpel, scénario tout en subtilité… voilà une série qui, même dotée d’une réalisation légèrement négligeable, est à suivre.
La série "La Diplomate" est disponible sur Netflix.