- Auteur : Maj Sjöwall
Précurseuse du polar suédois et initiatrice avec Per Walhöö de la vague scandinave...
Le monde du polar est devenu si vaste qu’il devient normal de s’y perdre, de ne plus retrouver des repères, de passer à côté d’œuvres importantes... ou d’informations capitales. C’est le cas avec l’annonce du décès de Maj Sjöwall il y a quelques jours, alors que le monde demeurait en plein confinement lié à l’épidémie mondiale de coronavirus.
sans cette dame, entre autres, vous n’auriez certainement pas connu les excellents romans scandinaves
Quoi ?!, me direz-vous, le décès de cette auteure de polar au nom inconnu si ce n’est vaguement familier, un événement ?
Et bien oui, car sans cette dame, entre autres, vous n’auriez certainement pas connu les excellents romans scandinaves qui vous ont fasciné ces dernières années ; la Suède ne serait peut-être qu’un pays sans éclats sur la scène du polar international, une nation connue essentiellement par ses meubles démontables et la pop de son plus illustre groupe musical, ABBA. Laissez-nous plutôt vous parler, alors, de la « Writing Queen », qui a contribué à l’essor d’un phénomène mondial.
Maj Sjöwall, c’est un peu, et fort paradoxalement, un concentré de ce qu’on aime de la Suède, cette force tranquille qui parvient à nous surprendre quand l’on ne s’y attend pas, cette faculté exquise à prendre du recul sur soi-même et les autres, cet art de bien-faire sans concessions.
Mais on s’éloigne du sujet, au risque de vous perdre ; revenons donc aux origines : il était une fois, au début des années 60, un pays réputé pour son mode de vie, sa richesse, sorti de la Seconde Guerre mondiale renforcé par sa neutralité, une nation de « troisième voie » entre les écueils du capitalisme effréné et l’autoritarisme communiste. Ce pays, c’est la Suède de la sociale-démocratie.
Maj Sjöwall et Per Wahlöö (décédé en 1975), couple à la ville et duo d’écrivain à la scène.
Evidemment, et comme souvent pour les paradis terrestres, il y a un voire des vers dans le fruit, que s’appliqueront sans relâche à débusquer deux enquêteurs de l’âme d’une nation : Maj Sjöwall et Per Wahlöö (décédé en 1975), couple à la ville et duo d’écrivain à la scène. Ensemble, et à travers le personnage de l’inspecteur Martin Beck que l’on peut suivre dans dix romans, ils vont radiographier les limites de la société suédoise, pas si éloignée des voies en forme de cul-de-sac que peuvent connaître ses voisins.
En dix ans, de 1965 à 1975, ils vont analyser brillamment, et sans céder un pouce aux exigences d’un récit policier crédible et prenant, les points de bascule du modèle suédois, sur la ligne de crête entre ses idéaux autoproclamés et les abîmes de déchéance du commun.
Les enquêtes de Martin Beck, c’est un peu l’art de scanner les gens « ordinaires » qui font toute la saveur d’un Simenon mais aussi l’engagement social voire politique de certains des meilleurs romans noirs internationaux. Le tout à la sauce suédoise, c’est-à-dire tutoiement de rigueur dans la police, même dans les rapports hiérarchiques, égalitarisme proclamé et encouragé entre hommes et femmes, État-Providence qui pourvoie aux malheurs et bonheurs de son peuple, paysages de quiétude sereine qui contrastent fortement avec la violence des crimes qui y sont commis.
On peut trouver de tout dans ces dix enquêtes pourvu que ce soit un éclat du miroir de la société suédoise : crimes sexuels, affaires économiques ou politiques, pédophilie (pour une des premières apparition de ce thème dans la littérature policière), conflits sociaux, grands sujets de préoccupation internationaux (en écho à l’ouverture intense de la Suède sur le reste du monde), terrorisme et organisations crapuleuse, envers de bien des décors, et bien évidemment suivi du parcours personnel des personnages récurrents rencontrés au fil des romans.
Leur influence a été immense
Malgré ces sujets difficiles et parfois spécifiquement suédois, ces romans n’ont qu’assez peu vieilli. Leur influence a été immense dans toutes la sphère scandinave et nordique, en premier lieu auprès d’un certain Henning Mankell dont le « Kurt Walender » est un héritier direct du personnage de Martin Beck.
Ces deux figures tutélaires qui ont su mêler l’art de la narration léchée et combat des idées seront aussi des sources directes d’inspirations pour des auteurs comme le norvégien Jo Nesbø, l’islandais Arnaldur Indriðason, le suédois Stieg Larsson ou le danois Jussi Adler-Olsen et indirectement d’auteurs moins visiblement critiques du système comme Camilla Läckberg, Viveca Sten ou Camilla Grebe.
Si les romans du duo Sjöwall/Wahlöo sont désormais peu lus (vous les trouverez en poche chez 10/18 ou Rivages), vous aurez pourtant plaisir à retrouver dans leurs roman une parties des « ingrédients » qui nous séduisent tant dans nombre de polars nordiques. Et vous saurez désormais que « Maj » et « Per » n’y sont pas pour rien...